Thursday, February 06, 2020

P orte Saint-Martin


Bonjour Olivier, 
J’espère que tu vas bien, aujourd’hui je ne te parle pas de moi (non pas que je t’assaille de demandes, n’est-ce pas ?), mais du spectacle de Charlotte Lévy avec Jean-Quentin Châtelain sur un texte sublime de Gainsbourg, Evguénie Sokolov, actuellement joué à 19h au Petit Saint-Martin. J’ai trouvé ça somptueux le soir où je suis venu (mais Jane Birkin a aussi beaucoup aimé et c’était un autre soir). Jean-Quentin est dans un état plastique extraordinaire, surnaturel et simple à la fois, il invente ce texte, il écrit ce texte qui parle de peinture. Il est comme s’il se sculptait lui-même, lui-même à l’état de glaise et d’amour (la définition de l’être humain). Il regarde le public dans les yeux. Les lumières sont sublimes (Eric Soyer). Ce spectacle pourrait vous intéresser pour un 19h aux Bouffes.
Amitiés, 
Yves-Noël

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B ar gay


— T’es trop sexy, j’ai trop envie de t’emmener dans un bar gay et de te défoncer la rondelle…
— Jamais une femme ne m’a parlé comme ça…

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Q uelque chose de Tennessee


Je vous écrivais déjà il y a quelques jours, en fait le soir où nous nous sommes quittés, déjà infiniment plus jeune, quand certains d'entre vous, je pense, étaient encore en boîte (vous savez laquelle). Je vous rassure, j’ai malheureusement déjà oublié Lara, bande-son de ce texte semi-drogué, déjà infiniment plus vieux (on vieillit plus vite à Paris) :

Voilà un titre pour le spectacle (futur) que vous allez jouer : Entre la vie et l’amour. C’est le titre du prochain spectacle de Catherine Lara qui a aussi une chanson qui s’appelle Entre violence et violon, pas mal aussi ! Vous pouvez avoir confiance dans ce spectacle qui est une forme, qui existe comme une forme capable de recueillir le bon et le défaut (qui n’est pas le mauvais) et capable — car accueillante — de vous permettre d’éclore en direct — ou, sera-ce vous, ces éclosions d’étoiles ou de fleurs, ces métamorphoses, ces va-et-vient ? Le travail, c’est l’espace, et bien faire comprendre au public qu’il est au pays réel des merveilles : pas obligé de comprendre, de suivre, mais obligé, s’il le veut bien, de se laisser porter, immersion, bain, songe, songe éveillé, imagination, infini, incompréhensions, raccourcis aussi bien (de compréhension) comme dans le puit d’Alice. Il me semble qu’il y a quelque chose de l’énorme vitalité de Tchekhov qui passe, comme au présent. Agrandissez vos espaces au-delà des murs — et sur votre côté, si vous êtes frontal, où il n’y a pas de spectateurs —, pour montrer votre liberté : vous n’êtes au service de rien, de personne, d'ailleurs vous n’êtes rien et le monde passe dans tous les sens, traversable, transparent, démontant le théâtre bâti des hommes. Je pense à cette citation de Francis Picabia (dans ce texte que je vais m'empresser de lire : Jésus-Christ Rastaquouère): « Moi, je me déguise en homme pour n’être rien ». La devise de l'acteur. Montrez les seuils, les frontières traversables comme celui d’être dans l’image et hors de l’image, passez et traversez, amusez-vous à passer et traverser, c’est ce qui est beau, voir un animal (donc un être qui a un bon rapport à l’espace) passer et traverser les frontières. Ne soyez pas entre deux, être en entier là — et, en entier là, c’est cela, passer des seuils, être en entier partout — S.Thala jusqu’à la rivière et au-delà de la rivière, c’est encore S.Thala — dans la vie et dans la mort. Soyez aussi comme une plante (donc un être qui a un bon rapport au temps). Vous êtes en entier partout et la vie n’est qu’une métaphore de la vie, spectre et jeunesse. N’ayez pas peur de comprendre que les écrivains, les vrais, c’est pas de la mièvrerie, du sentimental, ce sont des énergies, des énergies de massacre et de création, une cruauté très grande de lucidité et de dévoration — et un grand cœur de compassion inouïe qui pulvérisent les catégories. Pas de moralisme, le monde brut. Le génie, c’est très radical, Tchekhov, c’est très radical, souvenez-vous, Duras, quand elle parle de son travail parle d’un jeu de massacre des souvenirs et de la passion. Nous sommes des animaux très archaïques (des chimps) et puis il y a l’esprit, comme un futur, une compréhension, un progrès possible dans très, très longtemps, ça, c’est dans Tchekhov, et une adoration pour le présent, un Dieu à adorer, l’esprit. Hölderlin, le qualificatif associé à l’esprit : « commun ». Tenez, un quatrain de René Char qu’en général, je n’aime pas trop (il battait sa femme), mais qui vous va bien, très chers 

Compagnons pathétiques qui murmurez à peine, 
Allez la lampe éteinte et rendez les bijoux.
Un mystère nouveau chante dans vos os.
Développez votre étrangeté légitime.  

Et permettez-moi encore, puisque cette nuit avinée de deux whiskys (à 10€) le permet, de contrefaire la voix de Tennessee Williams qui n’a que peu à voir avec Tchekhov, mais on fait avec ce qu’on trouve et Catherine Lara m'amène, oui, à Johnny Hallyday : 

Oh, you weak, beautiful people who give up with such grace. What you need is someone to take hold of you--gently, with love, and hand your life back to you, like something gold you let go of--and I can! I'm determined to do it--and nothing's more determined than a cat on a tin roof--is there?

« Oh, vous, les faibles et les beaux, qui abandonnez avec tant de grâce. Ce dont vous avez besoin, c'est que quelqu'un s'empare de vous — doucement, avec amour, et vous rende votre vie, comme quelque chose d'or que vous laissez partir — et je le peux ! Je suis déterminé à le faire — et rien n'est plus déterminé qu'un chat sur un toit de tôle, n’est-ce pas ? »

Vive le whisky ! Allez, au dodo !

Yves-Noël

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P ompéi



Comme quand, seul, je marchais sur la plage ou dans la campagne (titre)

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C onservateur (2)


« Quant à l’influence de la politique sur le bonheur, il a également fait l’objet d’études sérieuses, et les résultats sont sans appel : les conservateurs se déclarent en moyenne nettement plus heureux que les progressistes. Selon le Pew Research Center, les conservateurs sont 68 % plus heureux que les gens de gauche. 
A droite, on explique ce bon résultat par la stabilité de la vie personnelle. Car les plus forts taux de bonheur privé se concentrent chez les personnes qui sont mariés, ont des enfants, qui ont une pratique religieuse et qui votent à droite. Alors que les célibataires sans religion et de gauche figurent en bas du tableau. »

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Merci pour Meschonnic (que je lisais quand Claude Régy l’avait monté) ; c’est très beau, en effet, je vais le transmettre à mes étudiants de Rennes. Et merci de ces nouvelles que tu me donnes pudiquement au moment où ‘le soleil revient’. Je t’embrasse, 
Yves-Noël

Mais le temps pour RIEN. On voudrait voir les gens, on ne peut pas, on voudrait lire, on ne peut pas, on voudrait travailler, on ne peut pas. Toujours courir, toujours être des absorbeurs et des diffuseurs de data. Mais je me suis inscrit à une soirée demain vendredi (de minuit à 7h), ça s’appelle Schwebestaub (« poussière qui vole »), c’est dans un beau lieu, c’est queer m’a-t-on dit — est-ce que ça veut dire qu’ils ne laissent pas entrer les filles ? je ne sais pas. Je vais essayer ce soir aussi L’Œil (33, rue des Petits-Champs), c’est soirée cabaret le jeudi soir de 20h à 2h— et, ça, j’imagine, les filles entrent…
Au plaisir, 
Yves-No

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C onservateur


« Dans un texte publié en 1986, Jacques Derrida avance qu’il y a des moments de l’humanité où des individus ou des situations particulières en viennent à incarner quelque chose de beaucoup plus grand qu'eux. Ils incarnent ce qu’il appelle le « destin de l’humanité », le tout du monde, une situation dans laquelle chacun sent qu'il en va de la gouvernementalité générale, de l'économie des forces à l’œuvre dans le monde et à laquelle chacun d'entre nous est, malgré soi, exposé. 
Derrida affirme que, alors qu'il écrit ce texte en 1986, celui dont la vie synthétise ce tout du monde, c’est Nelson Mandela. Il mentionne aussi ce qui se passe en Palestine-Israël. Je pense que ce qui se passe aujourd'hui autour des figures que nous honorons, Edward Snowden, Chelsea Manning, Sarah Harrison et Julian Assange représente ce type de situation où le destin de l'humanité est en jeu. Le sort de ses quatre individus est aussi important et devrait susciter la même indignation mondiale que celle de Nelson Mandela. Il en va aussi dans ce combat de la protection de la vie et de la mise à mort, de la guerre et de l'Etat, de la vie privée et de l'exposition au pouvoir, de ce qu’on appelle parfois la démocratie.... 
Le texte de Jacques Derrida s'appelle « Les Lois de la réflexions ». Car ces moments où une situation spécifique en vient à synthétiser des forces globales sont souvent des situations où une tradition se retourne contre elle-même, où tout le monde utilise les mêmes mots et les mêmes valeurs, se revendiquent de traditions identiques, en sorte que le conflit produit une autodestruction de la culture instituée, qui oblige à en réinventer les fondements et les pratiques. Mandela était avocat, et il a utilisé la tradition du libéralisme occidental pour combattre ses oppresseurs qui eux aussi  se revendiquaient de l'occident.
N'est-ce pas exactement une situation identique qui se déroule sous nos yeux, où les 4 figures auxquelles nous rendons hommage se revendiquent des mêmes valeurs que les gouvernements qui les menacent, celles du droit, de la démocratie, du respect de la Loi....
Comme vous le savez, Il y a une différence notable entre Edward Snowden et par exemple Julian Assange. Assange est d’une sensibilité libertaire, anarchiste, il a toujours exprimé une forme d’opposition par rapport à la raison d’État alors que, comme il le raconte dans ses mémoires et comme il suffit de l’écouter pour le savoir, Snowden est plutôt un conservateur. C’est quelque chose de très classique chez les lanceurs d’alerte. Car ce sont par définition des individus plutôt conformistes à la base. Ils étaient intégrés au système, ils croyaient au système. Dans ses conférences, Snowden ne cesse d'employer des mots ou des concepts extrêmement classiques, peut-être même conservateurs, mais paradoxalement c’est ce conservatisme axiologique  qui le pousse à se trouver dans une position de frontalité par rapport à ce que l’on appelle l’ordre démocratique libéral et par rapport aux gouvernement qui sont censés en représenter les valeurs. » 

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Cher Yves-Noël,
Merci de m’avoir donnée cette responsabilité à venir de pouvoir revoir encore et encore ce beau spectacle. Cette confiance me touche. J’espère que je ne serai pas trop à côté de la plaque. Puisque je n’ai pas vraiment suivi le processus de création (à part au travers de tes mails publics ou des longues discussions avec Olga), je ne pourrai donc que faire des retours qui sont miens. Ils sauront sûrement souvent mieux que moi ce qu’ils ont fait de bien. Mais ils auront au moins toujours une spectatrice dévouée, c’est déjà peut-être ça. N’hésite pas à m’envoyer si tu le juges bon des références de bouquins ou articles qui peuvent à ton avis nourrir mon œil bien peu entraîné. Je viens de toute façon demain car je fais la billetterie. 
À demain ! 

Oui, tu as maintenant une lourde responsabilité — prend-la à la légère. Je viens de noter les dates, il y en a plein ! Bien sûr, tu feras des retours qui seront les tiens. Quand le spectacle commence à vivre et à être montré, je précise toujours, dans mes notes, qu’il s’agit bien de mon point de vue parmi d’autres… Mais c’est important de réunir la troupe — qui n’aurait qu’une envie : se disperser — ce qu’on appelle aussi l’entropie —, s’abîmer (y compris dans ces rapports d’école dont il s’agit — puisque c’est le projet et l’ambition — de se décoller, de se sortir de ce bain tiède pour en gagner un bien plus vaste, plus froid et chaud (l’univers !) —, de réunir la troupe, je disais, à partir d’un point de vue qui fait autorité (ce qu’on appelle « l’œil extérieur »). Etre interprète, c’est se laisser aller, s’abandonner (pour que ce soit merveilleux) ; alors, il faut des retours, et un retour, disons, autorisé, celui de celui ou celle qu’on suppose qui embrasse le spectacle (comme le rêveur d’un rêve). Je trouve que tu comprends et que tu pourras ressaisir le spectacle, simplement avec des phrases aussi vastes que : « On n’a pas besoin de voir des acteurs sur scène » ou « C’est plus beau de vous voir déposer les armes » (je cite de mémoire). Je suis sûr que les interprètes te feront confiance. Je peux te dire que ce qui m’a le plus plu, en voyant le spectacle, c’est quand je ne savais pas comment c’était fait. C’est en fait l’espace qui est physiquement métamorphosé et si on analysait (si on filmait et si on analysait), ce serait très complexe, ce qu'il s'y passe. Il faudra les encourager à se baigner dans l’espace, dans l’environnement, et à déformer cet espace, à le métamorphoser. Les spectateurs étant aussi dans cet espace, c’est là qu’il se passe des choses étonnantes que personne ne comprend, mais qui sont — c’est la magie du théâtre quand c’est beau, c’est très mystérieux — comme vécues. Ce réel. Alors le sens vient après. D’abord, la richesse de tous les sens…
Je t’embrasse et je suis très content que tu rejoignes de cette manière ce travail, 
Yves-Noël

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J unko


Rebonsoir Yves-Noël Genod,
Je suis venue assister à votre travail J'ai menti le mardi 21 janvier et pour la  2ème fois ce soir, nous avons tous vieilli de 8 jours depuis, n'est-ce pas ? même si cela ne se voit pas beaucoup... Je remercie, à vous et à toute l'équipe de J'ai menti pour ce temps généreux.
Ce soir, j'avais des pensées comme ci-dessous dans ma tête.
Sur le site du TNB, à l'adresse de la page, on pouvait lire titre en cours. C'est vraiment chouette de pouvoir assister au travail en cours... Work in progress, quelle chance !
Ce soir, la neige m’a semblé plus petite et l'air était plus sec, j'avais l'impression qu'il faisait plus froid ce soir que dans la version du mardi 21... alors qu’il s’agit de la même scène, c'est très intéressant comme sensation. Ah, voilà le titre de ce spectacle... c'est J'ai menti. Mentir... mais... mentir quoi ? mentir à qui ? Mentir à soi-même, non ?! La vie, la liberté... c'est à soi-même de construire, en tous les cas ce que j'essaye. On peut mentir à soi-même mais personne ne nous y oblige, non ? Si ou non ?! Et puis, mentir à soi-même... il faut bien chercher à l’être, soi-même, alors que personne ne t’y oblige... Donc on est bien d'accord, vivre sa vie... Oui, on peut sculpter sa propre vie ou prendre la décision de vivre comme ci comme ça, si on a envie. Nous sommes libres de sculpter notre propre vie. C'est dans ce sens là qu'on peut utiliser son énergie. Ok, J'ai menti, mais si j'ai envie, j'ai le choix de ne pas mentir aussi. Et, même — cela demande du temps —, je peux tout à fait tailler cette pierre autrement. C'est très réconfortant, cette pièce de Yves-Noël Genod. J'ai vu aussi que le bouquet de fleurs était beaucoup plus grand ce soir par rapport à mardi 21 et puis les formes des vases avaient plus de variations... Tchekhov a vécu jusqu’à 44 ans, mais il a créé des œuvres qui portent plus de temps, de plusieurs vies, et aujourd’hui, en 2020, Yves-Noël Genod fait sa propre création... C'est beau de voir ces acteurs de si près de nous, ils sont bien là, ici, et puis, moi, je suis ici aussi maintenant. Comment ça se passe dans la tête des autres spectateurs qui sont là autour de moi, j'aimerais bien savoir…
J'écris toujours mal le français, pardonnez-moi. 
Bien à vous,
Junko

Merci beaucoup pour ce mail merveilleux que j’ai lu aux acteurs et qui leur a aussi beaucoup plu ! Vous dites que vous aimeriez bien savoir comment ça se passe dans la tête des autres spectateurs, moi aussi ! Quelle chance quand il y a des retours comme le vôtre ; j’aurais aimé qu’il y ait une rencontre (ou deux) avec le public (mais pas juste après) pour mieux imaginer ce qui était perçu du spectacle, pour comprendre si les thèmes que nous y avons mis — que vous voyez parfaitement — étaient perceptibles aussi pour les autres... (il y a aussi que je suis chaque soir resté pour faire les notes aux acteurs, ce qui m'a empêché de parler avec les gens). 
Avec grand plaisir notre prochaine rencontre !
Yves-Noël

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P rincipe à retenir par cœur dans une époque pré-totalitaire qui l’ignore


« Dans un État de droit, personne ne se fait justice à soi-même, et personne ne fait justice à quelqu’un d’autre en dehors de la Justice. »

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