Wednesday, January 04, 2012

François Olislaeger Yves-Noël Genod est aux vacances ce que la sardine est à l'huile





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« « La nuit est avancée, le jour approche. Dépouillons-nous donc des œuvres des ténèbres, et revêtons les armes de la lumière. » Romains XIII, 12 »

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Sang Aztèque contre Psychologue Olympique


Le marché a lieu tous les mardis, ici, donc, hier, c’était à nouveau mardi. A ma descente d’avion, je m’étais baladé dans ce marché qui s’installait et dans la belle lumière en attendant une heure décente pour réveiller mes hôtes. Le voyage de retour des tropiques a été épique, « n’importe quoi », a dit Gaby. C’est vrai, il nous a bien fatigués, la journée d’hier a passé à ne rien faire. Elle s’est achevée par la projection d’un « film du dimanche soir » devant lequel je me suis endormi (c’est facile, je dors dans le canapé). The 40 Year-Old Virgin, avec Steve Carell. Il fait vraiment froid, à Mexico, comparativement. En fait, ce n’est pas tellement qu’il fasse froid dehors, mais les appartements sont glacés. « Con-ge-lée », comme disait l’Arlésienne, ça, spécialement pour Pierre s’il me lit encore… Je dors tout habillé avec double paire de chaussettes et bonnet.

Avant le film, ah, oui, il faut que je le dise, ça aussi, avant le film, il y a eu le catch. Une erreur, ça, de ma part. C’est-à-dire, le catch – en fait, « lutte libre » – a lieu les mardis et vendredis, alors, bon, hier, comme on n’avait rien à foutre, on était dans les temps, alors j’ai dit, bon, si on allait au catch ? Une erreur. Ça a été deux heures ou trois dans une grande halle glacée – « con-ge-lée », comme disait l’Arlésienne – et dans les hurlements, les hurlements sans fin et quoi qu’il se passe sur scène (il ne se passait rien…), en particulier du rang juste derrière (mes oreilles), très motivé. Une erreur. Une horreur, même, pourrais-je dire… Ce n’est pas encore ce soir-là que le spectacle de la lutte libre m’aura révélé son mystère. Il me faudrait, je crois, beaucoup de pratique, beaucoup revenir, ce n’est pas le premier soir… Virginie m’a dit qu’elle comprenait mieux car elle avait été une fois à un match de foot de l’OM de Bernard Tapie et qu’elle avait vu deux milles personnes faire le gorille quand Basile Boli était rentré sur le terrain. Oui, mais, au moins, au foot, la fin n’est pas écrite d’avance. Car, la lutte libre, en fait, c’est juste de la démonstration, tout est écrit, l’arbitre joue l’arbitre, tout est faux, au début ça m’a plu, tout était archi-faux, archi-joué, alors je trouvais ça super, audacieux, postmoderne, deconstructing, mais, bon, ça m’a plu cinq minutes. Après, ça m’a paru aussi incompréhensible qu’un opéra d’avant-garde ou, que sais-je ?, oui, comme Woody Allen s’endort quand il va voir de la modern dance à New York dans le film Small Time Crooks. En même temps, j’ai appris des insultes. « Por pendejo ! », c’est comme « asshole », « pendero », c’est, littéralement, un poil de cul. « Bouffe-lui la chatte, pédé, fils de pute ! Suce-lui le gland, connard ! Toi, tu sers à rien, dégage ! J’ai pas payé pour voir ces conneries ! Arrache-lui la vulve à ce suceur de queues ! Chinga su Madre ! » Ou un sifflement qui veut dire exactement : « Hiro de la chingada ! » (il vaut mieux le siffler que le dire car, ça, c'est le pire).

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Oh !




Oh, merci,
Gérard,
comme je suis content que tu aies compris mon travail ! Et que tu aies pu en voir les deux moitiés, quelle chance ! C’est fou comme ce que je fais, l’apparition de ces pièces dont je ne sais rien à l’avance est soumis à la torture de la chance. Mais, encore une fois, je ne peux pas me plaindre car je trouve que j’en ai beaucoup ! Si sensible, par exemple, à ceci qui ferme ton article : « Dans cet évidement de la structure, toute présence humaine – le spectateur voisin compris – trouve la texture d'une révélation, apparition et transmutation suspendues hors-cadre, entraînant l'observateur dans une mobilisation sans peur, en totale disponibilité. » Tu aurais voulu me faire plaisir, tu ne t’y serais pas pris autrement ! Je crois que c’est ce qui me touche le plus, de toutes les manières dont on a pu ou dont on pourra parler de mon travail, que cela passe, ça. Je ne m’occupe pas d’autre chose… Ça me fait presque pleurer, tiens !

Je t’embrasse du Mexique où je viens d’ailleurs de me faire masser par une sorcière précolombienne, ce qui rajoute, n’est-ce pas ?, à la véracité de mes larmes

Yves-Noël

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« Mouvement », Gérard Mayen

Théâtres en déplacements
Les dernières pièces d’Yves-Noël Genod et Alain Béhar renouvellent l’espace de jeu




A expérimenter. Yves-Noël Genod tire brillamment le tapis sous l'ordonnancement de la représentation. Et Alain Béhar étire ses lignes vers une sphère de virtualité en présences.

Dans les sombres hivers des grandes villes, il y a une teinte d'accablement à se rendre au théâtre un dimanche après-midi en solitaire. Or – je peux / – oui, les deux dernières pièces d'Yves-Noël Genod articulées en diptyque, n'étaient présentées qu'en matinée. A 14h30. « En lumière du jour », précisait le programme. Il fallait d'abord s'enfouir dans la Galerie du théâtre de la Cité internationale. Un genre de descente aux catacombes. Gradins rétractés. Spectateurs tout en pourtour. Un bon nombre d'entre eux au ras du sol, sur des coussins.
Insolite, une rangée de fauteuils de théâtre coupait par son milieu la vaste aire de représentation – d'évolutions, vaudrait-il mieux dire – ainsi dégagée. Cette rangée de fauteuils, les acteurs doivent souvent l'enjamber, en plein cœur de leurs actions. De surcroît elle obstrue une part de visibilité, quand les spectateurs assis au sol suivent une action de l'autre côté.

On s'attarde sur cette configuration, qu'on pourrait aussi bien considérer mineure. C'est qu'elle touche aux conditions de production d'un espace imaginaire, affectant le jeu, affectant le regard ; et qu'il est possible d'adresser à cette pièce double, ivre d'une durée de trois heures trente au total, plutôt ce prisme de l'espace. Dès lors s'intéresser à une action du tout début de la performance : on démonte patiemment les volets qui, aux fenêtres de l'étage de la Galerie, tout là-haut, permettaient de transformer la salle en boîte noire.
La voici désormais « en lumière du jour ». Soit, ce dimanche à 14h45, un lait fermenté de luminosité crépusculaire, trouble à ne jamais se résoudre en tombée de la nuit effective, car trop tôt dans l'après-midi. C'était une expérience de temps arrêté, de texture atmosphérique du quotidien altérée, suspendue dans un volume métamorphosé ; néanmoins sous-tendue par l'étirement d'un très long spectacle. Condensation/Expansion.
Se dire que le théâtre ne se joue vraiment, peut-être, qu'à exciter notre capacité de saisie de pareils paramètres.

Ce 4 décembre 2011, par l'une des embrasures, on ne cessa d'entrapercevoir les grands gestes furtifs, d'une découpe parcellaire de silhouette masculine, sur le perron à l'extérieur en bord de salle, semblant occupée à quelques figures inlassables de hip-hop. Présence très proche. Or totalement à l'écart. Partie intégrante du spectacle ? Ou pas ? On ne le saura pas. Mais on a choisi que oui. En lutte contre le blues dominical.
A l'intérieur, sur le plateau, cette lutte est menée sans ambages par la vaste distribution réunie par Genod. Cela en une immense dérive d'éclats théâtraux, moments de bravoures, citations de culture scénique, numéros d'acteurs, et autres stéréotypes revendiqués. Que restituer d'une telle profusion ? Arbitrairement un seul instant : le grotesque de Marlène Saldana, en train de s'exciter l'entrejambes sur une tranche de dossier. Gloussant. Bon. Mais alors, intrigante sur ces entrefaites, l'arrivée du très jeune acteur fétiche de Genod, s'approchant de cette scène, parcourant tout cet espace, dans l'improbable sidéral de son propre travestissement en gentille soubrette XIXe hollywoodienne.
Par là, toujours un décalage d'ironie troublante, ensorceleuse ; un brouillé de la référence par interférence des niveaux, génératrice d'improbable. Où tout est possible. Une suspension. Une flottaison. Générales. De toute la sphère de représentation. Et de sa réception. C'est extraordinairement brillant. D'un talent fou. Quoique, gagné par un doute dans la longueur, on s'inquiète aussi d'un possible maniérisme, d'un théâtre dynamitant le théâtre avec les moyens du théâtre à propos du théâtre. Si novateur. Mais un peu vain. Précieux. Quand tout cogne par ailleurs.

On hésitait donc à remettre ça huit jours plus tard. On songea à plutôt aller manifester contre les intégristes, contre l'ordre moral, en appui à la pièce de Rodrigo Garcia, ce 11 décembre 2011. Mais finalement on opta pour – oui, deuxième volet du diptyque de Genod. Oui, quand même. Retour à la Cité. Même configuration des lieux. Et là, d'emblée, d'une fulgurance dans les rangs, disparu aussitôt que passé, frissonner en frôlant un acteur mimant un vieux prêtre traditionaliste. Dans ce signe furtif, pressentir qu'on ne s'est pas trompé, en s'engageant à nouveau pour ce théâtre-là. Un après-midi de plus.
La représentation est plus brève. Annoncée comme fournissant la théorie de la première. Pour bonne part, elle délivre les éléments scénographiques (somptueux fumigènes, etc.) et sonores (vertigineux récit des derniers jours de Marcel Proust, etc.) prélevés dans – je peux, du dimanche précédent. Eléments donnés cette fois en suspension, en pure action découpée d'éléments découplés des jeux d'acteurs, métamorphose en tourbillon de signes libres, affranchis de leur souche dramaturgique. Théâtre en déplacement.
Par là, un tapis est tiré sous l'ordonnancement de la représentation. Et apparaît comment, s'étant faite envahissante huit jours plus tôt, la pâte comédienne du théâtre y avait été surjouée, sur les limites, délibérément – cela bien au-delà des seules caricatures de vieux théâtre produites par Jean-Paul Muel. Dans cet évidement de la structure, toute présence humaine – le spectateur voisin compris – trouve la texture d'une révélation, apparition et transmutation suspendues hors cadre, entraînant l'observateur dans une mobilisation sans peur, en totale disponibilité.
Il y eut là du geste éperdu. Audacieux. Amoureux ? Libre en son dominical combat.



(L'article de Gérard Mayen continue parlant de la pièce d'Alain Béhar, cliquer sur le titre.)

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