Saturday, June 15, 2013

Femme, mais lesbienne



« ...comme dans un rêve, un espace sans dimensions... » « ...ne subsistera alors que le regret amer des années perdues... » Machine très efficace, mais juste. On peut donc faire des machines très efficaces, mais justes. Pourquoi ce ne serait que Fabrice Luchini qui ferait des choses efficaces ? Eh bien, non ! on peut être tout à fait efficace au service du vice ! Et c’est l’art extrême (et joyeux) de Pierre Maillet, trésor national vivant comme au Japon. Rajouter la musique vicieuse par excellence, celle de Marguerite Duras, rajouter Hervé Guibert (je suis assis à côté de Vincent), rajouter le groupe TSE, Dominique Issermann évoquée (elle m’écrit : « Comment vas-tu ? » — que répondre ?) — et c’est toute une époque qui reparaît vivante. Vivant, c’est ce que Pierre Maillet est absolument. L’un des maîtres — grand maître — du vivant. « Vivant », ça veut dire « survivre » et « vivre ». Survivre et vivre, c’est cela, le théâtre — demandez à Hamlet : être et ne pas être (demandez à Peter Brook...) « J’aurais voulu être femme, mais lesbienne », dit Pierre Maillet. C’est ce que je vais proposer à Vincent Dedienne : être femme, mais lesbienne. C’est inouï d’audace, de passion, de beauté. « Parce que la mort, c’est rien du tout, quand on y pense, hein ? La mort, c’est rien. » Le spectacle va son galop de cheval. Et pourquoi un spectacle n’irait-il pas à un galop de cheval ? Il s’agit d’avoir une salle, une salle entière bien pleine et enthousiaste et d’en faire qqch ! De brûler ses énergies de cette salle. Les vices, les passions, la beauté du feu. Cocteau, à la question : « Le feu dévore votre maison. Vous ne pouvez emporter qu’une seule chose. Qu’est-ce que vous emportez ? » avait répondu : « Le feu ». Oui, j’emporterais le feu, moi aussi. Détruire, dit-elle. C’est au théâtre de la Bastille, jusqu’au 30 juin, à 21h. « Moi, je crois que, même mort, on me foutrait qq’un avec des bas à côté, je me mettrais à bander ! » (Phrase culte.) Seul bémol : tellement réel, tellement réel est le monde et le spectacle aussi ! On ne sait pas où l’on est, on ne sait pas ce que l’on voit, si l’on voit ou si l’on rêve, le spectacle est sans limites. Le rire de Pierre Molinier-Pierre Maillet ! Ce spectacle est un tombeau de Pierre Molinier, mais c’est un tombeau de vie. « Mais, moi, je pense que, femme, c’est ce qui serait le mieux parce que c’est ce que la société considère de plus malsain. » Vice et turpitude. C’est un univers tellement riche, tellement complet dans ses moindres détails, tellement dense, ce ne sont que des détails. Grand espoir et grande énergie pour le dieu théâtre nous donne Pierre Maillet et Bruno Geslin, son metteur en scène. Grisélidis Réal pas loin. Sur le trottoir, Pierre Maillet m’apprend que le spectacle a presque dix ans et qu’il a vu l’époque changer. « Ce qui est dit dans le spectacle, me dit Pierre, résonne d’une manière plus subversive maintenant. Sur la liberté individuelle... » Oui, parce que l’époque — excusez-nous, jeunes gens — est cruelle. Sur le trottoir, qq’un dira aussi que ce que fait Pierre Maillet est « décontractant ». C’est un mot juste. On ose à peine l’écrire : c’est vrai depuis toujours, mais encore plus ici : Pierre Maillet fait du bien. Il est comme Barbara, il console et redonne la vie qu’il nous manque. Il nous dit : « La mort, c’est rien du tout... » Et maintenant j’écoute Alfred Deller, Eternal Source of Light Divine. Et il est samedi soir et je recopie mes notes avant de descendre voir Romain... « Lorsqu’Alfred Deller s'aperçut, au sortir de l'enfance, que, s'il perdait sa voix de soprano, celle-ci gardait un timbre étrangement aigu et une étonnante élasticité, il se forgea seul une technique de contreténor. Personne ne put se charger de sa formation vocale, cette tessiture ayant disparu (...) » 

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Présence, 15 juin



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