Saturday, October 06, 2012

La Frite n'a pas froid aux yeux





Julie Menut, Clément Aubert. Photos Sara Rastegar.

Labels:

Le Tarn qui brille, mon Dieu



C’est un immeuble à la campagne. On ne voit pas tout de suite la beauté. Parce qu’on regarde le plein. Bêtement. La beauté ne se voit que quand on s’aperçoit du « creux » que cela dessine. Ce creux est infini. C’est aussi ça. Ça s’appelle le « temps ».
Pour le temps, évidemment, il y a des mirages. Je veux dire : des signes, des symboles. Il y a le pont, là-bas, et il y a le Tarn. Le pont du chemin de fer. Il y a le Tarn. Les ouvriers qui repeignent la chambre au-dessous font aussi partie du temps. On les entend / on ne les entend pas. On ne les voit jamais. Leur voiture est dans la cour. (Là où je suis, je suis tourné vers le fleuve.) – Est-ce que la lumière fait partie du temps ? – Non, c’est autre chose, la lumière. Il y a la lumière et il y a le temps. – Les ciels, est-ce qu’on peut s’y noyer, s’y baigner ? – C’est à voir. On ne sait pas. Peut-être quelques héros l’ont tenté… Peut-être Bébé… Benoît s’y est brûlé les ailes. Benoît, c’est la version pure de l’anti-Bébé. Benoît, c’est Andy Warhol et, Bébé, c’est Joe Dallessandro. Sur son balcon de Miami. Avec le ciel. Trop de méditation en plein ciel, Benoît... C’est ce que je lui dis. Je n’arrête pas… Bébé, non. Bébé galope dans les alpages, mais ne se brûle pas au ciel.
Nous irons nous baigner dans le Tarn.
Qui passe, là.
Sous nos fenêtres.
Et puisque nous sommes seuls. Nous nous noierons. Sous nos fenêtres. Seuls sans Bébé.
Oh, je regretterai cet endroit ! Pas de moustiques. A cause des chauves-souris qui habitent les chambres…






J’ai oublié de parler de l’araignée, hier, ça m’est revenu dans la nuit. Je voulais parler des animaux à cause de l’araignée (géante) que j’ai trouvée dans les « chiottes », comme dit Babeth. « Là aussi, c’est des chiottes. C’est l’usage d’appeler ça « Toilettes », mais, enfin, bon… » Je ne l’ai pas tuée. Vous me prenez pour qui ? Je suis allé me coucher parmi les araignées, les chauves-souris, les soucis, les murs suintant d’angoisse, les murs épais, le temps – retrouvé. Il faut qu’il y en ait un qui, comme moi, reste éveillé... Passion froide. Tous les mots que vous employez, je les emploie aussi. Je ne suis pas de ce monde. Ni de ce monde-là.






C’est l’été / ce n’est pas l’été. C’est une saison infidèle. Ce n’est pas les tropiques, ce n’est pas l’hiver. Ce n’est pas le froid (nous sommes nus), ce n’est pas la chaleur (nous avons froid aux pieds).
Nous sommes allés dans le jardin. Tout à l’heure. Ramasser des cerises. Quelques coquelicots aussi. Le sang, c’est la couleur qui est à la mode, je le lis dans « Le Figaro magazine ». La couleur, dit Paul Claudel, de ce qui sort. « La couleur de ce qui était dedans et qui sort », précisément. Je me demande si je vais aller voir Marlène et Jonathan (et Robin…), demain, à Toulouse. Je suis tout près. Mais j’ai peur – d’ici demain – de m’éloigner encore… Une demi-heure de train, ça fait combien en vélo ? Je pourrais envoyer un mot… A ce propos, ai-je dit que Babeth ressemble beaucoup à Jonathan ? Non, je ne l’ai certainement pas dit – quel intérêt ? Mais ça m’amuse beaucoup… « Rouge Baiser indélébile qui, depuis 1927, permet d’embrasser sans bavure »…
Une phrase comme : « Les arbres se déployaient sur le ciel », rend compte de la situation. Il n’y en a point d’autres. Reste à convaincre qu’il s’agit de littérature. De toute la littérature. C’est une affaire de marketing. (Ce n’est pas mon affaire.)
Je suis nu dans ce grand et vaste château des bords de l’eau. Comme Bébé a tort de ne pas être venu ! Si tu veux, Bébé, je vais te chercher à Toulouse… (Message personnel à faire passer, mon gentil Sébastien, mon gentil facteur.)
Irai-je me noyer dans le ciel – irai-je me noyer dans la mer – le mer du ciel, la mer du temps ? La rivière est comme une erreur. Elle coule le long de l’onde et ruisselle comme une ondée. La rivière est la gouttière du temps. Comme une ondée. Il y a des bruits d’oiseaux qui s’y recueillent… Et, moi, sur mon balcon de l’absence de Dieu… Oh, s’il y a bien une certitude, c’est celle-ci ! L’absence de Dieu... Après, le sens des mots… Voir Spinoza et tutti quanti ! Babeth me plaît, son débit à l’ancienne. Je m’aperçois que je l’imite. Cette vieille jeune fille. En tout cas, je subis son influence… Comment faire autrement ? Dans cette immense demeure qui n’a pas de fin. Pas de fin, pas de fin et qui n’est pas « infinie ». Infinie, ce ne serait pas une maison. Mais c’est une maison. Une maison sans fin. Le parc a cent hectares. Monsieur Le Maire, que représentent cent hectares ? Vous ne le savez pas ? C’est normal, ça ne représente rien.
La maison est contenue dans ton rêve. Il y a le fleuve qui la traverse. Le navire-fleuve. Qui a emporté la terrasse, en 70. Ça a été terrible. Trois arches. Mon père a consolidé en béton. – Le château a failli partir ? – Oui. Je n’étais pas là. Je devais être à Lorient, à ce moment-là... Ça a été terrible…

Labels:

Pygmalion






Baptiste Kubich, Chloé Dudzik. Photos Sara Rastegar.

Labels:


Il y a certains animaux et on sent qu’ils ont un pouvoir certain. La grand-mère de cent ans, ce qu’elle adorait, même quand elle ne parlait plus, même quand plus rien, c’était les documentaires animaliers. On avait acheté une parabole pour avoir cette chaîne de documentaires animaliers parce que, ça, on avait remarqué, elle adorait. Sans doute estimait-elle que ça valait encore le coup de vivre comme ça jusqu’à ses cent ans (avec toutes les emmerdes) rien que pour voir ça à la télé, la vie des animaux, les animaux du monde. Les chevaux – réels, cette fois – elle adorait aussi. Les bêtes, toutes les bêtes. Mais elle ne parlait plus. Dans le château, il y a tout un tas de bêtes. Des chauves-souris surtout – dans les chambres, les escaliers. Des chats, des chiens qui sont si « psychologiques » (il ne leur manque que la parole et heureusement, quand même, qu’ils se taisent). Des chevaux. « Les emmerdeurs », dit Babeth. « Ma fille élève des poneys, alors elle me donne les emmerdeurs (ceux qu’il faut séparer). » Des mouches, dans les lampes de chevet. Le bruit du Tarn (du barrage). Pas de moustiques à cause des chauves-souris qui, certes, chient partout, mais voilà leur raison d’être. Il Elles sont protégées comme les abeilles d’Erik (« On ne les tue pas comme ça. ») Des hirondelles qui chient sur les fenêtres de la grande galerie. Enfin, voilà. Des chevreuils traversent le parc. Voilà, voilà… Les animaux, comme les hommes, vivent très vieux, ici. Douce, la chatte, a vingt-cinq ans. Ça n’existe pas un chat de vingt-cinq ans. Et l’étalon (fringant sur les photos) a trente-quatre ans. Douce ne pense qu’à manger toute la journée, c’est une pitié. Elle reste maigre parce que les reins ne fonctionnent plus. Elle vomit partout. Et, pourtant, elle supplie tout le temps qu’on la nourrisse. Si c’est pour vomir... Quelle idiote, cette chatte ! Whisky, le colley, c’est autre chose. On sent une préférence. Babeth a les larmes aux yeux en pensant qu’elle pourrait mourir avant lui. « J’ai dit, dans mon testament, que je donnerai ma voiture à celui qui recueillera Whisky... » – sa voix s’étrangle. Le reste du temps, très volubile, très distrayante, rapide à l’ancienne. « Je suis une alcoolique », me prévient Babeth. Je lui assure que, si elle l’était vraiment, elle ne le dirait pas. On boit un très bon Gaillac. « Enfin, très bon… C’est vrai que ça s’est amélioré parce que, dans le temps, les Bordelais regardait ça de haut ! – Ah, les Bordelais, forcément. » Là où Babeth me reçoit, ce n’est pas au château, c’est l’ancienne école accolée d’une église. Je suis fatigué. Heureux de fatigue. Fatigué de m’étouffer d’inconnaissance. Tout a toujours été le but, pour moi, me noyer dans l’obscur. Et, maintenant, s’étale, autour, la douceur effrayante d’un château vide aux trois cent soixante-cinq fenêtres (j’ai promis à Babeth que je recompterai).  

Labels:

La Mode


Julie Menut et Chloé Dudzik. Photo Sara Rastegar.

Labels: