Sunday, April 06, 2025

J e n’envie nullement les fortunes


La Bretagne est un pays où il ne fait jamais beau. En moyenne, le mois d’août : 22 jours de pluie. En moyenne. Ce qui ne veut pas dire qu’il pleut à verse du 1er au 22 août, mais tous les jours au moins un peu. Du crachin, du chagrin du mois d’août. Et puis, une fois, le mois d’août, je me souviens, j’avais débarqué et j’avais appris que le mois de juillet avait été absolument pourri, alors j’en avais déduit à voix haute qu’il ne pouvait plus que faire beau, mais ma cousine aujourd’hui décédée de trop de langueur (une longue maladie) m’avait dit : « Oh, non, détrompe-toi (détrempe-toi), ça s’est vu, des étés ENTIEREMENT POURRIS, des étés nazes de A à Z ». Mais quand il fait beau en Bretagne, alors, là, tu meurs de bonheur, c’est la fête, ça se roule dans le fossé, tu n’en crois pas ta chance. Tu chantes avec les oiseaux. En Bretagne, on boit pour oublier qu’il pleut et on boit pour fêter le soleil, la seule journée de l’année ! C’est ce qui s’est passé hier et puis, hier soir, l’apéro, puis le repas, tout ça dehors (puisqu’il faisait beau), et mon cousin Gwen m’a arrangée avec un tonneau de rhum à la menthe et au sucre (en apéro ! pourquoi pas la téquila ?) et finie aux godets de vin blanc remplis comme des verres à eau ou, disons, je l'ai remarqué, d'une belle eau dorée, il a fallu me traîner jusqu’à mon pieu, les salauds ! je me souviens de la grosse lampe et du basculement dans le fossé — et du gris du matin !

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Saturday, April 05, 2025

« L’espèce humaine », je lis ces mots, oh, mon Dieu, comme elle m’angoisse en ce moment, je lis ces mots dans un roman :
« Ainsi revinrent-ils auprès de la créature la plus exaltée de l’espèce humaine,  le criminel devant ses juges, la victime exposée sur les hauteurs, le fugitif, le marin naufragé, le poète de l’ode immortelle, le Seigneur passé de vie à trépas, auprès de Septimus Warren Smith qui était assis dans le fauteuil, sous le vasistas, face au portrait de Lady Bradshaw en robe de bal, qui grommelait ses messages sur la beauté. »

« — Et qu'est-ce que vous allez faire ?
— Est-ce qu'il faut toujours faire quelque chose de soi ? Est-ce qu'il n'y a pas des cas où on peut l'éviter ?
— J'ai essayé de ne rien faire de moi. On ne peut pas. Il faut toujours finir par faire quelque chose de soi. »
 
« Quelquefois, on se saoulait. Il me disait : "Je t'emmènerai à Hong Kong, à Sydney. On s'en ira tous les deux sur un bateau." Et moi, quelquefois, je le croyais, je croyais que c'était possible, que peut-être il était possible que l'on ne se quitte plus. Je n'avais jamais pensé que j'aurais pu avoir un jour ce qu'il est convenu d'appeler une existence et ça m'effrayait un peu, mais je le laissais dire. Je le laissais croire sur lui-même des choses que je savais fausses, je l'aimais jusque dans ses erreurs, ses illusions, sa bêtise. »
 
J’écoutais à la radio une écrivaine (c’est drôle, d’écrire ce mot, j’ai l’impression que je la rabaisse) qui disait qu’elle vivait « avec Rêve et avec Livre » et, oui, moi aussi, j’étais encore capable de lire (oh, quelques pages…) le matin au sortir du rêve. Et puis peu à peu la folie remontait, il fallait occuper la journée dans la folie, dans l’inadéquation, dans cette maison enchantée qui était — je me l’étais dit hier — l’endroit du monde où je me sentais le plus mal à l’aise. Partout plutôt qu’ici. Heureusement, j’avais vendu la maison à mon frère, je n’avais plus à m’en occuper 
 
Mais que j’étais malheureuse dans cette maison ! et pourtant heureuse dans ce si beau paysage, ce paysage de n’importe où, une rade, un printemps… Quand je sortais de la maison, j’étais dans un palais, quand j’y entrais, un taudis…
 
Je voulais dire, comme Septimus, je voulais dire la vérité. Je voulais dire que tout était faux dans la manière de voir des réseaux sociaux, des médias en général, des télés, tout était télé et ça faisait beaucoup, beaucoup de mal et les nazis et les staliniens étaient toujours là pour toujours, ils avaient contaminé même la mort
 
Je disais qu’il fallait aimer la disgrâce, que c’était la seule manière d’aimer car l’humanité toute entière n’était plus que disgrâce, qu’il fallait écouter les écrivains, qu’il fallait écouter avec l’obligation d’écouter à l’intérieur de soi (« l’exil intérieur », qui a dit ça ?) pour écouter les écrivains, qu’il y avait, oui, un caractère sacré, peut-être pas à cause de l’écriture en soi, mais à cause de la déchéance de l’humanité, qu’il n’y avait plus que l’écriture pour y comprendre qqch
 
Patiemment lire le dernier livre et aimer la fin
 
Patiemment lire le premier livre et aimer le commencement 
 
Jour / nuit ; rêve / livre
 
Je disais que lire était le seul moyen de ne pas être une grande gueule. Il n’y avait que ça, extérieurement, les grandes gueules, dans les médias, pour diriger le monde, pour commander, ça, on n’en manquait pas, tout le monde se précipitait pour être dans le coup de la saloperie, ça se bousculait, tout le monde voulait les faveurs du Führer 
 
Voilà ce que disait Septimus par ma voix
 
Ou moi par la sienne

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Wednesday, April 02, 2025

L es médiocres te jalousent

 

Mon pauvre chéri, tu vas encore dire que je t’écris pour IG, et, en cela, tu n’auras (une fois de plus) rien compris. Si je t’envoie à toi, c’est à toi que je m’adresse et, si j’écris sur IG, c’est que tu ne le comprends pas (quand je m’adresse à toi). Alors, je suis obligée d’inventer un prince imaginaire qui me comprendrait, certes te ressemblant
— mais je voudrais que tu ressembles à tout le monde, mais que tu me comprennes
Je voudrais que tu n’aies pas d’apparence, mais qu’une profondeur d’amour, une profondeur de peau, sans apparence

Je me suis baignée, c’est tout, heureuse
« Si vous parlez à Dieu, vous êtes croyant ; s’il vous répond, vous êtes schizophrène »
La méchanceté, la malignité du monde et cette jeunesse qui n’y résiste pas…
Titre : La même eau
Rester seule, comme c’est dur, rester muette — et les étoiles et les fennecs... (Les médiocres te jalousent)

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La physionomiste à l'entrée m’avait offert le tarif « femme seule », 5€. Elle m’avait devinée, elle savait que c’était un chagrin d’amour. Elle-même était comme moi. J’étais dans des villes de provinces, des bouts de paysages, des printemps, des sentes, des reflets et puis la mer, étincelante, surnaturelle, la mer des chagrins d’amour et des noyades et les voiles aussi qui ne reviennent jamais. Il y avait des châteaux, des églises, des ruines, des paquebots à l’abandon (des herbes folles) et je m’étais retrouvée en fin de journée, en fin de balade dans ce havre, ce refuge pour bras cassés, pour chiens errants — et la caissière m’avait offert le tarif le plus bas, « femme seule », 5€. Depuis qq heures, qq jours, seulement qq jours, c’était par la déréliction, les chiens écrasés que je jouais ma vie, plaintive, mais aussi en colère. Je jouais le vrai. Je crois que si je t’avais eu, mon bourreau, en face de moi, je t'aurais foutu « une gifle dans ta tronche », comme l’avait dit une victime d’une caméra cachée qui avait amusé DI. Oui, « plus un poil de barbe », comme il est dit dans le roman des romans quand Sancho se fait tabasser. Ah, le connard ! (Comment les femmes font-elles pour supporter les hommes ?) Pas seulement de la colère s’exprimait dans ce déroulé de printemps, « Ah, le crapaud, le fumier ! », il y avait toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, en fait, fallait pas croire. La plainte, certes répétitive, est pourtant toujours infiniment variée, la tristesse aussi, comme la vie et, comme la vie, la colère passera et la tristesse aussi, hélas. Hélas, vivre de cet état était aussi un feu d’énergie ; c’était du feu car c’était vivre encore avec mon bourreau que je haïssais comme je l’aimais encore, après tout. Après tout, je désirais sa haine, sa violence, pire encore : son indifférence. De mon bourreau, je ne pouvais plus prononcer le nom. Fallait-il l’appeler Lepetit ? Non, c’était petit, Lepetit, c'était mesquin… Le docteur Jacques s'était jeté sur une ramette de papier pour défouler ses nerfs en noircissant une pièce quand Gérard Depardieu (rebaptisé Idionysos) lui avait piqué Carole Bouquet (rebaptisée de la Bouture). La réceptionniste m’avait fait entrer au tarif le plus bas, le tarif « femme seule », 5€. La journée avait été ensoleillée, trop ensoleillée, je m’étais baladée d’un spot miroitant à un spot miroitant, un été imaginaire, j’avais vu des miracles — et j’avais sacrifié la soirée plein soleil en plein ciel  (la ville ouverte vers le haut) pour, à 6h, m’enfermer à l’hôtel Ultimus d'une pièce de Georges Feydeau...

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Thursday, March 13, 2025

M élancolie


J’étais très fière car Legrand se passionnait pour Jon Fosse, il le lisait au kilomètre. Du coup, il me regardait presque avec envie. J’étais celle qui avait vu les spectacles de Claude Régy, qui, même, une fois, pour une soirée à la Maison de la Norvège, avait joué une pièce courte de Jon Fosse intitulée Dors mon petit enfant, en lecture, comme ça, je faisais tous les personnages devant un public acquis, ils venaient tous pour rencontrer Claude Régy, l’écoute était fervente dans la salle, comme si Valérie Dréville elle-même lisait et c’était juste moi


On s’était vus trois fois avec Claude et ç’avait été très facile. Claude baignait dans la matière, il représentait à ce moment-là Melancholia au théâtre de la Colline, il me disait à chaque mot, chaque virgule quoi jouer. Les acteurs sont des êtres simples : si on leur dit précisément quoi jouer (ça s’appelle la dramaturgie), ça les sauve de tout


Je suis présentement à Örnsköldsvik, une ville de 30 000 habitants, à 600 kilomètres au nord de Stockholm. J’y passe mes vacances d’été sur une île, dans une maison de pêcheur en bois sans eau courante ni électricité. En 2001, à 19 ans, bac en poche, la jeune fille arrive à Nice pour une année sabbatique dans le but d’apprendre le français et il y a de la neige de l’autre côté du fjord. Je regarde, chaque vague est agitée par le vent. Une amie se baigne, elle devait passer me prendre, mais je n’irai pas, je regarde, je regarde le monde de mon balcon, les nuages, la neige, les vagues, sans cesse l’image renouvelée des nuages, des vagues, des évanescents effervescents nuages blancs, là-haut dans le vague 


J’avais encore envie de ma jeunesse. Je regardais la vue, je regardais la vue, je regardais les volumes amples et blancs et lents des nuages et des nuages

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Wednesday, March 12, 2025

T remblement


C’est terrible, je considère comme un devoir — un devoir dans la journée, un devoir dans la nuit — de parler à Legrand, de m’adresser à lui, mais de m’adresser à lui ici. Je sais qu’ici il ne me lira pas. C’est par pudeur, paradoxalement, que je m’épanche ici. Y a-t-il quelque chose dans notre histoire ? Rien n’est moins sûr. Je suis consciente de tirer la couverture à moi. Hier en m’endormant transie de froid, les nerfs à vif, de douleur, d’irrespiration, j’avais peur et — comme une prière — je me suis adressée à Legrand : protège-moi… 


J’avais éteint ; j’étais, je crois, dans la nuit noire dans l’appartement blanc donnant sur le lac bleu et je me suis redressée, j’ai cherché mon carnet, j’ai tâtonné, il fallait que j’écrive (toujours cette forme de la prière) : « Soudain je sais pourquoi j’aime Legrand, pourquoi j’ai besoin de sa protection, parce que j’ai besoin de sa protection. Le monde au mieux fasciste au pire nazi qui se matérialise, pas seulement des quelques semaines actuelles, mais des années à venir, j’ai besoin d’une protection, de n’importe qui comme Legrand capable de me protéger ; je sais que je peux compter sur Legrand ; c’est cela mon amour pour Legrand : plus clairement encore que le besoin d’affection — et le besoin d'indifférence —, le besoin de protection » 


Et j’écrivis encore : « dans la nuit noire de l’appartement blanc donnant sur le lac bleu ». 


Je me réveillai plusieurs fois dans la nuit, j’avais froid, j’avais chaud, je ne savais pas ce que j'avais : une fois, c’était l’aube, ce commencement vous savez, juste le commencement, bien avant l’éblouissement de l’aurore, l’aube indécise, juste le contentement d’avoir traverser la nuit, de voir ça, cette réalité, les oiseaux beaucoup. Et je vis que ce que j’avais pris pour un lac était en fait un bras de mer, un fjord sans doute, une rade, quelque chose d’infiniment mélancolique. Ça en avait les couleurs — inphotographiables —, c’était l’humanité du Nord, des quakers, ces gens du Nord, du bleu du Nord, de la Finlande, de la guerre, de la pauvre humanité sous la mitraille, la lumière intérieure décevante, protectrice, mais la lumière intérieure... 

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Sunday, March 09, 2025

Que dire sur Legrand ? Je pourrais me taire. Ça vaudrait mieux. D’ailleurs il n’y a rien à dire, on est voisin donc on est toujours fourrés l'une avec l'autre, mais jamais dans le même lit et c’est mon malheur, et c’est ma souffrance, mais elle est légère comme une lettre à la poste, ne croyez pas…

(ici, c’est des lettres à la poste, non ?)

(ou des bouteilles à la mer ?)

J’ai trouvé un envoi de Dominique Fourcade de 2013, que je n’avais pas ouvert… C’est très beau, lisible derrière la moisissure (je loge dans une sorte de taudis très humide très ensoleillé, une bohème)

Là, je traîne et j’écris sur Legrand au lieu d’aller le rejoindre comme il me l’a proposé au dernier jour du musée d’Art moderne du Centre Georges Pompidou… 

Dans les quelques feuillets de DF publiés par Chandeigne il y a cette phrase : « L’écriture est un travail de désir et d’horreur, je n’ai vécu que dans ce trouble »

Je voudrais n’écrire que Legrand, mon amour, Legrand, mon amour, Legrand, mon amour, Legrand, mon amour…

Il y a aussi, dans les pages de Dominique Fourcade, cette expression qui me fait immédiatement pensé à l’œuvre de DI : « dans l’acoustique de la mort »

J’ai rêvé à elle la nuit dernière, j’ai rêvé, la nuit dernière, que tu faisais une photo de moi parce que j’avais récupéré un mégot devant la Sorbonne (c’est dans le livre que je lis) que je tenais sur le bord de mes lèvres, comme un personnage des années..., mais tu y renonçais parce que « de dos » — tu voulais me photographier de dos —, ça ne se voyait pas (le clope ne dépassait pas). J’imagine que ce mégot vaut pour la bite car, dans la journée, j’avais revu au Louvre le (ou la) sublime Hermaphrodite endormi.e


Legrand est venu chez moi pour la première fois pour que je lui refile des vêtements (j’en ai beaucoup trop dans mes 20 m4) et, dans la lumière de chez moi, plein Sud, j’ai vu à quel point ses yeux étaient bleus, dévastés tellement d’être bleus, délavés — et j’ai renoncé à les regarder parce que je veux vivre, moi, je veux vivre, mais sans connaître (trop) la beauté, je veux l’oublier… 

Je veux vivre plutôt que mourir


Pas besoin d’aller au magasin, je découvre plein de vêtements merveilleux chez moi, que j’avais oubliés (Legrand est passé pour que je lui en donne). Et j’ai rêvé, la nuit dernière, que tu faisais une photo de moi parce que j’avais récupéré un mégot (devant la Sorbonne, c’est dans le livre que je lis) que je tenais sur le bord de mes lèvres comme un personnage, mais tu y renonçais parce que « de dos » — tu voulais me photographier de dos —, ça ne se voyait pas (le clope ne dépassait pas). J’imagine que ce mégot vaut pour la bite car, dans la journée, j’avais justement revu au Louvre le (ou la) sublime Hermaphrodite

😘 T’embrasse, 

Marie-Noëlle

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Friday, March 07, 2025


A l’Ecume des pages, la dernière des trois libraires de Saint-Germain-des-Prés, j’ai trouvé dans un livre je ne sais plus lequel, il y en avait plusieurs étalés autour de la figure de Marguerite Duras (on n’a pas fini d’en parler, de cette cinglée !) cette photo où, sur la carte postale, j’ai reconnu l’écriture de Claude Régy, l’écriture que j’aimais. Quelle émotion. C’est au moment où Marguerite travaille sur son film, INDIA SONG (son chef-d’œuvre) puisque Claude lui demande si elle a trouvé son Michaël Richardson (l’amant d’Anne-Marie Stretter — Delphine Seyrig). La carte est une vue de Montauban, sans doute Claude de passage dans sa famille… C’est un peu personnel, ce que je vous raconte là… 


Le 16 mai 

Marguerite, les oiseaux ici sont innombrables (réserve protégée de la chasse). J’ai traversé la Sologne, le Périgord (de toute beauté). Je pense très fort à toi. As-tu commencé ? Avec quel Michael Richardson ? Le budget, etc. As-tu dominé tous les problèmes ? Je rentre lundi. Je t’embrasse, Claude

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