Je ne broie pas du noir, je broie du gris. C’est un métier peut-être, dans le sens « vocation ». L’un des Laurent actuel m’a dit qu’il aimait ce que j’écrivais autant que LA FLAMBE, le livre tiré des journaux d’une ado des années 70-80, Ariane Grimm, elle s'appelle. Mais le livre est épuisé (bien que les cahiers soient exposés en ce moment au musée des Arts déco, si j’ai bien compris). Alors je sens que j’écris, influençable comme je suis, en imitant tant bien que mal le style que j’imagine de ce livre que je n’ai pas lu — sauf une belle phrase relevée par Annie Ernaux : « Je suis tellement triste que je ne peux même pas imaginer le bonheur »
J'ai entendu récemment : « Mes parents étaient des tortionnaires ; mais, concomitamment (pour compenser ça), ils m’ont donné accès à l’art ». Et c’est ce qu’Annie Ernaux suppose aussi en parlant d’Ariane Grimm : « elle serait devenue une écrivain parce que, quand rien ne comble, il ne reste que l’art ». Mes parents à moi n’étaient pas des tortionnaires, pas plus que tout le monde. Mon père, au contraire, presqu’un saint. En tout cas, un brave homme (et, par les temps qui courent…) Ma mère, oui, affreuse, épouvantable, mais la pauvre ne s’en rendait pas compte. C'était justement là, sa faute : ne pas se rendre compte. C'est aussi une circonstance atténuante. Et puis les parents sont aussi toute une famille, chacun. Ma mère ne s’est rendu compte de ce que c’était que de vivre qu’en tombant malade de la maladie d'Alzheimer, comme je l’ai déjà beaucoup raconté. Le reste du temps, tout le reste de sa vie, toute la longueur, elle a été une actrice. Une mauvaise. Elle a joué pour se brouiller la vie. C’est facile de jouer, simplement il ne faut pas faire en sorte que le jeu capture la vie. En tout cas, pas adulte, à cause des enfants à naître parce qu'alors on continue de jouer à la poupée. Ah, non, le jeu, c’est le jeu et, la vie, c’est la vie. Il faut trier dans son for intérieur. Si tout se mélange, c’est « fake news ». Je ne peux pas me plaindre de la maladie, de mes maladies multiples, j’ai vu comme la maladie à elle lui a fait du bien. On dit que certaines personnes ne se rendent compte de la vie que 2 secondes avant d'en mourir. Elle, ça a duré au moins 2 ans. C’est dommage que ça n’ait pas duré plus. Elle a vécu 2 ans de VACANCES DANS LA REALITE (titre de Wallace Stevens). C'est ce qu'on se souhaite à tous, n'est-ce pas ? Mon appétence pour le théâtre, m’avait dit un psy, vient de cette capacité de mentir de ma mère le long de sa vie. Pas de réel, pas de « devenir » (dirait Gilles Deleuze). J’ai employé plusieurs fois mon père qui, lui, jouait vrai, c’est-à-dire qu’il ne s’arrêtait pas de vivre (dans le réel donc) en entrant en scène (au point qu’il fallait toujours lui envoyer qqn pour l'en sortir) et cela rendait affreusement jalouse ma mère, mais, elle, trop mauvaise pour que je l’emploie, n'a commencé à être qu'à la fin. (J'aurais pu, à la fin.) « Mes parents étaient des tortionnaires... », j’adore cette phrase finalement, son côté rétro des livres des vide-greniers. MOI, CHRISTIANE F., 13 ANS, DROGUEE, PROSTITUEE… Ce matin il y a de la neige sur les montagnes. C’est indéniable. Que je n’avais pas remarquée hier. La nuit qui efface tout a laissé du gris. Des oiseaux tombent par la fenêtre. La baie vitrée dans le ciel ; des oiseaux chutent dans la neige, dans le gris de la neige. Je ne sortirai pas. Luxe d’une si belle baie vitrée… Sur le site du « Figaro », une vidéo en direct : seulement la neige qui tombe sur les escaliers de Montmartre sans aucun commentaire — on se croirait au festival du Cinéma du Réel —, seulement le bruit de la foule et la neige qui feutre et émerveille... Ici, les cheminées sortent de la fumée grise comme le blanc du ciel...