Saturday, January 04, 2025

N o Pain No Gain


Legrand m’avait amenée chez une libraire de son quartier qu’il m’avait présentée comme très misanthrope, mais qui se révéla fort sympathique. « C’était un bon jour », me dit-il après. Elle en voulait surtout aux touristes puisqu’elle était logée à Montmartre où, c’est vrai, l’on pouvait s’en plaindre. « Je fais la différence entre « touristes » et « voyageurs », vous voyez ce que je veux dire ? — Oh, je vois très bien, « touristes » est péjoratif et « voyageurs » ne l’est pas ! » Sa librairie étaient très encombrée, on ne pouvait pas s'y retourner de crainte de basculer les piles. Elle seule devait savoir assez exactement quels livres étaient autour d’elle. 


On était passés aussi devant cette merveilleuse église des Abbesses, je crois qu’elle s’appelle Saint-Jean-L’Evangéliste et — c’est moi qui l’avais demandé — nous étions entrés dedans. J’avais vu Leonardo le premier ôter son bonnet (malgré le froid) — je l’avais fait aussi (malgré le froid) — et dégager son crâne rasé. J’avais embrassé ce crâne dans le petit ascenseur qui nous montait chez la mère de Legrand (Legrand avait pris l’escalier) et j’avais senti qu’il ne l’avait pas rasé depuis la Saint-Sylvestre. L’église était mal éclairée, ce qui la rendait si belle, ses voûtes se perdaient dans l’obscurité comme une grotte. Nous étions chez Legrand dans ce quartier. C’était une merveille de le sentir comme un poisson dans l’eau. Le square où il jouait au foot jusqu’à ce que sa mère l’appelle de son cinquième étage : « Legrand, à table ! », la boulangerie où il était marqué, curieusement c’est vrai, deux fois le mot « pain », ce qui fait qu’avec un ami, chaque fois qu’il y passaient, ils ne pouvaient s’empêcher de prononcer à l’anglaise et de crier lugubrement « Pain… pain… » (« Douleur… douleur… »). Il n’était pas sorti de son quartier où étaient toutes ses écoles, ses amis jusqu’à ses 17 ans — où il s'était retrouvé en fac à Tolbiac. On allait de temps en en temps faire une excursion pour voir les grands-mères, celle du 7ième (rue Vanneau) et celle en face de la tour Saint-Jacques, mais c’était tout. Après les vacances, à la mer ou à la campagne, on revenait à Montmartre et l’on n’en bougeait plus. Les rues en pente étaient leur terrain de jeu, enfants puis ado. 


A un moment : « Bien sûr, les choses ont bien changé... », me disait-il. On débouchait soudain dans un endroit que ma sœur aimait particulièrement, mais je n’avais rien dit, je n’allais pas la ramener toujours avec ma sœur. Qui n’a pas


Labels: ,

En fait, j’avais toujours été amie avec des garçons que j’admirais ; ce garçon, je l’admirais. J’aurais voulu ne pas écrire son nom, c’était Legrand. J’avais rencontré sa mère. Elle s’était amusée à me draguer (ou à draguer un être imaginaire) ; elle parlait d’étapes — première étape, deuxième étape, troisième étape… — que je réussissais à franchir

(j’imaginais que la dernière allait être dans son lit)


La nuit du réveillon, Leornado m’avaient caressé la main. Il n’en avait pas fallu d’avantage — dans mon état de grand désert — pour me faire grimper au rideau. Chercher à le revoir. C’était Legrand qui veillait sur Leonardo. Je devais me joindre à leurs virées. Il fallait que j’aille dans des endroits pas possibles, des musées et la ville en regorge. A l’hôtel de Soubise, je ne regardais rien — qui y avait-il à voir ? Je regardais les gens, les touristes, les familles, les promeneurs, tout le monde était dans la rue, il faisait beau. Le soir, on voyait la lune et Vénus, très éclairées, entourées de noir, le croissant fin et le point de Vénus si beaux, si beaux… 

A l’hôtel de Soubise, Legrand avait attiré mon attention sur quelques pièces (me voyant assise comme une pauvresse). On pouvait lire dans une vitrine, en se penchant, la dernière lettre de Marie-Antoinette (son fac-similé). Elle venait d’être condamnée et elle allait être exécutée quelques heures plus tard ; elle écrivait à sa belle-sœur pour lui demander de s’occuper des enfants. La lettre était fascinante certes par les circonstances et par ce qu’elle racontait, mais surtout parce qu’elle était écrite en français moderne, le même français qu’aujourd’hui, d’une écriture claire comme écrite de maintenant — enfin, maintenant on n’écrit plus, disons comme écrite et parlée par nos parents ou nos grands-parents. C’était troublant. Et, quelques heures plus tard, elle montait à l’échafaud. Elle espérait être aussi calme que son mari, disait-elle, cette mort n’était honteuse que pour les coupables, mais elle se savait innocente. Elle n’en parlait pas, mais j’imagine qu’elle croyait encore à Dieu. Elle s’inquiétait pour ses enfants ; la lettre (dont on ne pouvait lire que la première page) étaient pleine de recommandations et d’excuses pour les désagréments. 

Maintenant, je lis : 

« Sur les déclarations de son fils, Marie-Antoinette est accusée d’inceste. »

On rentrait souvent de Montmartre à pied, Legrand et moi ; c’était en pente, ça allait vite. Legrand avait vécu à Montmartre jusqu’à ses 17 ans. A part les virées pour voir ses grand-mères, dans le 7ième pour celle encore vivante (rue Vanneau), en face de la tour Saint-Jacques pour l’autre, il ne sortait jamais de son quartier où se trouvaient ses écoles, ses amis. Bien sûr, ils allaient aussi en vacances, la Bourgogne, Quiberon, Trouville, mais il n’était jamais allé dans Paris. Seulement quand il était arrivé à Tolbiac, à la fac, qu’il avait commencé de l’agrandir

Labels: ,

Saturday, December 21, 2024

Chez Elsa, c’était pas spécialement grand, mais elle avait un jardin, ce qui, l’été surtout, permettait de belles parties. L’hiver, au moment de l’anniversaire, eh bien, c’était l’hiver, mais on sortait quand même, sous le prétexte de fumer un clope ; moi, j’aimais bien aller dehors avec ceux qui fumaient, ceux qui buvaient, ceux qui baisaient, ceux qui parlaient sans filtre, ceux qui vivaient, enfin, toutes ces choses que je me permettais pas ou peu, « modérément » comme on dit pour la santé, mais ces gens qui vivaient en vitesse, immodérément, c’était eux qui m’attiraient, bien sûr. Mais il fallait que je fasse gaffe, il fallait que je me contrôle, moi, on ne me permettait rien, on ne me passerait rien, mon handicap me laissait souvent sans connaissance, oui, il me manquait la virtuosité de certains sens (nous en avons beaucoup plus que cinq et, des cinq, j’avais perdu l’odorat)


Quoi que j’écrive, cela raconte mon histoire sans que je le sache. Cette phrase n’est pas de moi, mais souvent je me demande si je ne devrais pas plutôt recopier les belles phrases qui me touchent comme si je les avais écrites. Ce que j’écris ici, que je retouche — quand j’écrivais sur mon blog, le principe était de ne jamais relire, de ne jamais retoucher, ici, c’est le contraire — m’apprend à lire. Ce sont des exercices, c’est très scolaire, en fait. Lire est difficile, il faut l’apprendre. Par exemple, j’ai relu la nuit dernière chez Elsa qui l’avait reçu en cadeau FOU DE VINCENT qui venait de lui être offert, estomaquée par le génie de l’auteur


Est-ce que Noël ne serait pas autre chose qu’un emballement ? C’est vrai, on emballe qqch à Noël. On aimerait que la neige tombe pour sa puissance aussi de réduire le monde en cadeau, de l’emballer (je prends cette image à Harry Mathews). « Il est né, le divinenfant »


C’était magnifique, on était allés voir CROWD, de Gisèle Vienne, à la Villette. C’est toujours merveilleux, les vieilles pièces réactivées, c’est si rare ; les interprètes ont confiance, c’est merveilleux cette confiance (j’ai l’impression que c’est ça, et non pas la pièce — inoubliable —, qui m’a rendu la soirée si merveilleuse). A la sortie, j’avais salué deux garçons (merveilleux) que je connaissais encore bien que je me sois maintenant si éloignée du milieu. Ils n’avaient pas changé, ce qui m’avait même fait hésiter en les voyant sur scène : ils me paraissaient trop jeunes. Maeva Lassere aussi, j’avais hésité aussi : c’était sans doute une jeune fille qui lui ressemblait. Il me semblaient que la pièce avait cent ans, belle comme une pièce de cent ans. Il y avait ça, aussi, qui formait son charme : c’était une pièce d’avant. Avant : le temps où l’on pouvait encore regarder les jeunes gens. La pièce jouait maintenant de cette nostalgie. Et puis ça m’avait plu qu’il y ait encore des spectacles, que ça marche toujours, le système. Oui, j’avais cru comme j’avais arrêté moi-même d’en produire et que je ne sortais plus (selon le même principe : il faut qu’on me le propose, qu’on m’y invite), j’avais cru qu’il y en avait moins, que c’était passé de mode. En fait, non, ça continuait (magiquement), plus peut-être encore, peut-être y -t-il encore plus de spectacles, je ne sais pas, pas moins…


Chez Elsa, j’avais relu un livre là aussi d’un autre temps, l’un de ses cadeaux (on le trouvait donc en librairie) et j’avais pensé à DI qui était son amie, un livre d’Hervé Guibert…


Chez Elsa, quelqu’un que je trouvais très sexy (avec une tête de chanteur) m’avait dit : « Oh, vous avez une belle écriture » au moment où je notais dans mon carnet la marque de whisky qu’il me conseillait, le whisky Laphroaig. Ah, l’île d’Islay… Je répliquais que je n’arrivais pas à me relire, mais, au fond, j’étais touchée et aujourd’hui, je m’aperçois que j’écris mieux, que j’écris un peu comme Hervé Guibert (dont l’écriture est vraiment admirable)

Labels:

Thursday, December 19, 2024

R egardez cette couleur tellement de sable


Toujours aux environs de Noël, je me sens capable de plein de choses. Je regrette de partir, j’aime être seule à Paris à Noël, sentir la frénésie autour de moi, inventer de me trouver dans un autre milieu, inventer une autre famille ; ça m’est arrivé rarement, mais les deux ou trois fois dont je me souviens sont inoubliables. C’est comme le mois d’août à Paris (enfin, début août), c’est le rapport à la ville, aux autres qui est changé, qui s’ouvre. C’est comme jouer au jeu, mentir, se masquer. Des ruses, quoi ! Et puis Noël, la crèche ! Et puis ma sœur, une fois je l’ai rencontrée, je lui ai demandé si elle venait à Noël. Non. Et puis elle est morte en janvier. Ça étonnait beaucoup ma mère qu’on se rencontre par hasard à Paris, mais, nous, ça nous paraissait naturel. On se rencontrait souvent, ma sœur et moi, par hasard, dans Paris, on aimait bien. Mais la ville est fermée, partout fermée, sauf dans certaines brèches. La ville n’existe que de ces brèches, la joie à vivre. J’écris cela pour Pépita, je le lui ai promis tout à l’heure 


Labels:

On a le plein de la vie et on a le manque. Quelque chose manque. Quelqu’un. Et si l’on inversait, si l’on disait qu’on a tout, mais tout en trop ? Alors, ce qui manque c’est le désert, l’oubli (l'oubli surtout des bons souvenirs, pour ne pas souffrir à les revivre), la solitude, le vide — justement ce que mon grand âge, socialement, me propose… J’aurais vécu l’essentiel de ma vie, il n’y avait pas la guerre 

Il y avait des problèmes, mais il n’y avait pas la guerre


« — Alors, la vie est belle ? 

— Oh, elle pourrait l’être si vous me donniez un espoir »


Labels:

Je voudrais aimer le monde. Je suis dans une chambre étrange, dans un hôtel étrange (dont les normes sont un peu décalées) où il faut, pour accéder à la vaste salle de bain, passer par un couloir assez long au sol de carrelage. Et cette nuit, ou ce matin encore dans la nuit, j’ai longé ce couloir pour aller pisser sans allumer, je me suis retrouvée sur la cuvette des chiottes dans le noir total et ça m’a rappelé mes spectacles et que cette expérience du noir total était si rare dans la vie (il faut aller dans les grottes). Je me suis dit que, c’est un fait, on a détruit le monde, le monde des expériences, c’est un fait, mais que, quand même, pendant peut-être les années qu’il me reste à vivre, je voulais rejoindre l’expérience, le peu d’expérience qu’il serait encore possible d’attraper par-ci, par-là. Par exemple, je connaissais quelqu’un qui avait une maison dans un vaste bois, un ancien relai de chasse aux environs de Rennes et, une fois, j’avais dormi dans cette maison et je m’étais réveillée à l’aube au son de milliers d’oiseaux, voilà une expérience


Sunday, December 08, 2024

J e dois cirer les culs ternes


DI aurait voulu revoir à la cinémathèque REFLETS DANS UN ŒIL D’OR, à 20h, de John Huston, avec Marlon Brando et Elizabeth Taylor, DI m'assurait que Brando y était d’une beauté confondante, renversante. Ou peut-être même, avec un peu plus de courage, dans une plus petite salle, LA LEGENDE DE LA FORTERESSE DE SOURAM, de Sergueï Paradjanov (à 19h30), elle ne l'avait jamais vu... Mais, sans le décider, toutes les deux, on était restées dans la maison qui progressivement s’éteignait, s’éteignait, s’éteignait… On avait fait un peu de photo, au début, on avait essayé de capter un peu de cette lumière comme douloureuse, de cendre et de suie, d'oiseau brisé. L’infini d’une conscience d'une soirée d’hiver pluvieuse, d’une soirée de rien. On avait regardé sur son ordi des propositions de villégiatures de rêve, une maison au-dessus de Propriano construite dans les ruines d'une autre (les ruines avaient été gardées). Une autre dans une chapelle romane « et son hameau », près de Auch, je crois.  On se rencontrait au milieu des espaces de la nuit et de la parole. On buvait un vin de Jean-René intitulé : « A nos amours », un blanc mousseux. Plus tard, on avait trouvé des choses à manger, des réfrigérateurs avec des choses dedans, des celliers, des souris, des chats, des parties non chauffées. Une « boîte de sardines admirable ». Puis, comme je n’avais pas apporté mon pyjama et ma brosse à dents, j’avais dû repartir vers le Nord, pas si tard, en fait. DI se couchait tôt. DI m’avait appelé un taxi, les barrages du centre-ville avaient été levés, ça roulait bien. Les cérémonies avaient surtout vu le sacre de Jean-Charles de Castelbajac, on en parlait pas mal. Il y avait l’extériorité de la ville, mais la ville, en fait, était un pli de discrétion. Tout ce qui s’y passait, au fond, restait caché, par nature-même, beaucoup plus qu'à la campagne où l'on avance à découvert (depuis les déboisements des forêts et des haies). Ainsi la raison des manifestations publiques de la ville renforçait son mystère, on pouvait le voir comme ça. Voyez mon apparence, mes foules, mes engouements... non, tout est paradoxalement une question de caches et de manigances, d’ombre et d’écho, entremêlements de l'enfance et des morts, de palais dérobés, de portes ouvertes et fermées, de ciels hautains, fragiles. DI m’avait fait toucher ses mains. La main droite était froide et la main gauche était chaude. Je lui avais dit : « Peut-être que tu es déjà à moitié morte ». La phrase ne l’avait pas spécialement effrayée car je l’avait dite comme une citation : « …comme les arbres… », ajoutais-je. Les arbres ne sont vivants que sur leur dernier tour de taille, leur pellicule, c’est là que circule la sève, tout le reste, l’intérieur accumulé à l'infini des années, c’est du bois mort. Moi non plus, je ne le savais pas, je l’avais appris du spécialistes des arbres Francis Hallé. Il y avait de la musique classique qui diffusait, sans que l’on sache d’où ça venait vraiment, comme une senteur, un air à respirer, l’oreille presque inconsciente d’une éternelle salle d’attente. A l'arrivée chez moi, j'avais ouvert un livre, l'un des moisis, mes préférés (ceux du dégât des eaux). C'était Gérard de Nerval qui s'adressait à moi : « N'avais-je pas été frappé de l'histoire de ce chevalier qui combattit toute une nuit dans une forêt contre un inconnu qui était lui-même ? » Oui


Labels:

Thursday, December 05, 2024

E videmment les appartements spacieux de Berlin


Ce qu’il y avait, c’est que Legrand était toujours là. Toujours là pour moi. Je lui envoyais : « Vers 4h, je suis chez Perrotin (rue de Turenne), une belle expo de peinture » et il me répondait : « Ah ben, très bien ». Vexée, j’envoyais : « Non, mais je ne te dis pas ça pour te raconter ma vie » et je fermais mon téléphone d’un coup sec (c’est une image). J’avais mal compris puisque je recevais (plus tard donc) : « Non, mais je t’y retrouve avec mon ami Emmanuel ». Tout d’un coup le soleil. Et j’arrivais même en retard, du coup (comme une princesse). 


Emmanuel est un ami intime de Legrand dont il m'a beaucoup parlé. C’est exactement — m'ayant jaugée le premier (le plus rapidement) avec ses grands yeux — ce qu’il me dit immédiatement : nous avions beaucoup entendu parler l’un de l’autre ; Legrand avait projeté souvent de nous faire nous rencontrer, mais ça ne s’était jamais fait. Emmanuel peignait et habitait Berlin qu'il cherchait à quitter. La ville n’était plus « arm, aber sexy », ça faisait un moment que c’était fini (ma jeunesse). L’expo de Jean-Philippe Delhomme était très belle, mais le peintre et le philosophe avait déjà eu le temps de s’en faire une idée. Emmanuel trouvait les portraits trop inexpressifs. « C’est voulu, affirmait-il, il y a toujours un léger strabisme qui fait que la jeune modèle ne nous regarde pas ; ils sont moins expressifs que le citron ! — Ou que la vieille dame... —  Mais oui, le portrait de la vieille dame est le seul qui soit expressif... » La vieille dame, c’était Michèle Bernstein, la « femme de Guy Debord ». Elle avait écrit un livre réédité par Allia qui était un pastiche d’un roman de Françoise Sagan, je l’avais à la main, je venais de l’acheter. Emmanuel était très fin, des cils de poupée, une expressivité naïve, j’en tombais immédiatement amoureuse (à ce moment, Legrand n’était presque plus rien, disons : un vieil ami de la famille). Le soir du vernissage, la vieille dame (92 ans) était restée devant son portrait pendant plus d'une heure, sur une chaise qu'on lui avait apportée. Natacha m’avait invitée à l’Olympia pour le concert de Zao de Sagazan. A la fin du spectacle incroyablement maîtrisé, quand tout le monde avait pensé que c’était fini-fini, la chanteuse avait fait entrer Brigitte Fontaine qu'elle avait lentement installée sur un trône doré et elles avaient chanté ensemble « Ah que la vie est belle ». 60 ans séparaient et rassemblaient ces deux femmes ; c’était très beau. 


Mais ce dont je voulais parler ici, ce n’est pas de ça. Je ne sais pas si j’ai encore la place. Il y avait un très joli petit tableau de Jean-Philippe Delhomme qui présentait un livre ouvert sur des reproductions d’œuvres de Frank Auerbach, probablement la référence principale du personnage du peintre dans la dernière partie des Emigrants (de W. G. Sebald) (me rappela Legrand). Enfin, bon, Emmanuel sortit de son téléphone une photo d’un des tableaux de ce peintre puisque je ne le connaissais pas et c’est là que j’eus ce coup de foudre. Quelques minutes plus tard, je lui demandais en tremblant s’il pouvait me donner la photo qu'il m'avait montrée. A ma grande surprise, gentil, il accepta immédiatement...  



Labels: ,

Wednesday, December 04, 2024

« I n 37 years in the intelligence profession, I've never seen the world in a more dangerous state »


C’était un dîner un ville. Quelqu’un avait parlé d’un autre qui s’était écrié : « Ah, Modiano ! Ne me parlez pas de Modiano, c’est infect, c’est un salopard ! C’est absolument zéro, Modiano, une honte ! » Et, maintenant, je ne savais pas si je l’avais rêvé ou si c’était plus en amont dans le livre que je lisais (j’en étais presque à en tourner les pages). En fait, non, quelqu’un d'irrésistiblement méchant avait parlé de quelqu’un d'irrésistiblement méchant, enfin, tout le monde avait compris que c’était juste pour le plaisir de dire du mal en roue libre comme c’est toujours dans les dîners en ville réussis. Sentant l’ambiance décontractée, ouverte, moi, j’avais, pour apporter de l’eau au moulin, raconté la rumeur qu’on m’avait assuré vraie (mais que je n’avais jusque là jamais osé répéter) qui disait — de source sûre — et, là, je citais ma source — désolée, elle se reconnaîtra — qui m’assurait qu’elle le tenait de source sûre — que, vous savez, cette actrice iranienne dont j’oublie toujours le nom, oui, vous voyez, très belle, eh bien, elle serait avec machin ! Si ! Depuis deux ans. Et, là, ce serait même fini car elle veut un enfant de lui, et, ça, machine (la femme de machin) qui était d’accord pour l’amour n’est pas du tout d’accord pour l’enfant. Non. Ensuite, on était passé à autre chose. C'était touchant et décadent, ces dîners en ville, comme si le réel, pendant quelques heures, n'était plus une menace — ou peut-être, au contraire, plus que juste une menace, seulement une menace, une vague menace persistante à l'ancienne, la guerre pas encore entrée dans Paris. C’était bien sûr dans les cas où ça prenait bien, où tout le monde comprenait pour chacun le sérieux à éviter. Dire du mal (mais aussi du bien) de gens connus au petit bonheur la chance participait de cette détente. On me demandait quelles actrices incontournables il pouvait bien y avoir en France en ce moment (si même il y en avait). Je répondais sans faiblir, brave, pensant m'avancer en terrain sûr (car on avait rapidement évacué Isabelle Huppert aux urgences de ses disgusting campagnes Balenciaga) que j’aimais beaucoup Fanny Ardant. « Ah, non ! Quelle horreur ! Je déteste sa voix — et cette façon qu’elle a (et ceci, et cela...), ah, non ! Ne me parlez pas de Fanny Ardant ! » C’était toujours l’Italien qui parlait comme ça. Je l’adorais. J’étais prête à sacrifier Fanny Ardant (et d'autres encore) pour l’écouter. Il disait qu’il préférait vivre à Paris qu'à Rome. « Tiens donc,  pourquoi ? — Parce qu’à Rome... (il cherchait) un repas comme le nôtre, voyez, eh bien, on parlerait de foot... un peu de politique... et beaucoup de voitures… » L’Américain assurait qu’il était content de rentrer en France, parce que, là-bas, à New York, quand on a envie de changer d’air, il n'y a rien. « D'ici, on peut aller partout, Berlin... Amsterdam... Lisbonne... c'est très bien, Lisbonne... l’Italie… » L’Italien disait : « Il y a aussi toutes ces villes de l’Est… » Budapest ? « Budapest, c’est très beau… » J’avais envie d’aller à Budapest à cause des bains. En hiver, j’avais envie de bains chauds, j’avais envie de faire le tour des villes d’Europe pratiquant encore les bains...

J’avais du temps cet hiver. Du temps pour mourir...

Labels:

Tuesday, December 03, 2024

J’avais lu Les Cloches de Bâle depuis bien longtemps et sans doute ma vie était-elle trop courte pour que je le relise un jour. Mais j’étais allée à Bâle. J’avais marché le long du Rhin. J’avais rêvé finir mes jours dans l’une de ces maisons si raffinées qui donnaient sur le Rhin, j’avais jeté des croûtes de fromage aux mouettes. J’avais senti la nuit approcher, j’avais traversé la ville festive, capitaliste dans un état second, j’étais allée comme toujours je le faisais quand j’errais dans ces villes européennes jusqu’au zoo situé comme souvent près de la gare. Je n’avais pas trouvé de bains dans cette ville sinon je serais allée aux bains (l’été on se baignait dans le courant entraînant du fleuve légendaire). Mais le zoo fermait une heure après que j’y étais arrivée et c’était cher. Je traînais un peu devant, il y avait des groupes de gens, j’essayais de comprendre ce qu’ils faisaient là, personne ne semblait essayer de comprendre ce que je faisais là moi-même. J’étais invisible dans ces villes étrangères, c’était un plaisir et une souffrance, c’était une errance, je dérivais, peut-être tout le monde voyait immédiatement que je dérivais et cela suffisait pour me comprendre… Près de la gare j’abordais le « Bar Bistrot » de l’hôtel Victoria. Il y avait encore trois heures à tenir…  



Je regarde maintenant par la fenêtre, la baie vitrée — ma vie, c’est le pays des baies vitrées — la nuit s’élargir sur un bout de ville près d’une gare. C’est une gare loin de Paris, en Suisse, dans un pays froid. Dans une ville passe le Rhin, beau fleuve presque sauvage ; des mouettes en sont les reines, des colonies de ce « matriarcat » (en français seulement) communiquent avec moi parce que je leur jette de temps à autres des bouts de croûte de fromage


Labels: