Monday, October 07, 2024

A ndré et Hélène


André : Ça m’a beaucoup intéressé, ce principe de communautés et de créer des mondes solidaires. Ça m’a beaucoup intéressé ce qui s’est passé à Logonna. Moi, je suis naturellement de Logonna, j’ai une maison là-bas. Y a une idée très bonne, quoi, et ça fonctionne pour l’instant. J’ai un petit peu été mêlé à ça parce que j’étais propriétaire du terrain, d’une partie du terrain au moins. De fil en aiguille, ça s’est développé et j’ai été considéré comme un inspirateur, mais, après, je ne suis pas resté dans l’organisation. C’est assez extraordinaire d’ailleurs d’avoir créé une communauté. Et puis alors, y a aussi la chanson, une école de chanson
Moi : C’est des jeunes ?
Hélène : Y a deux femmes
Moi : Mais ils sont où exactement ?
Hélène : Un peu partout !
André : Oui, c’est une aventure extraordinaire, on se demande si ça va durer ou si y aura une contre-action, une action contre
Moi : Ce serait […]
André : Oui, nous, on a une famille assez nombreuse et c’est notre secteur. Nous sommes là, c’est un peu le hasard, mais c’est étonnant, ils font un travail admirable. Ici, par exemple, au collège de Carhaix, ils ont été pris tout à fait par la chanson. Y a une infirmière qui était un peu inspirée, elle a fait un choix de s’occuper de communautés comme animatrice, inspiratrice, c’est d’une audace extraordinaire parce que, forcément, y a des adversaires aussi, mais pas tellement, je suis un peu étonné, y a quand même un écho. La vie est offerte, quoi. Finalement, il faut en faire quelque chose communautaire. Mais le mouvement existe depuis longtemps. Y a toujours eu, comme ça, des fratries pour donner un certain style à la vie. 
Moi : Ben, oui, les communautés
André : Ben, oui, les communautés. Au collège, c’est assez sensible parce qu’il y a beaucoup par le chant, par exemple. Ils chantent dans un style bien connu de maintenant. Ça les passionne. Une sorte de récit parlé ou de parlé en chanson
Moi : Ah, du rap et tout ça…
André : Euh, oui, par la parole, mais ça avait été précédé d’ailleurs par des polémiques […] qui avait la même idée de mettre en chanson des styles, des relations, mais c’était pas toujours sympathique […] sur ces lieux que je connais très bien puisque c’est ma famille qui est là, y a des investisseurs. A un moment, c’était très compromis et puis c’est reparti, mais rien n’est sûr
Hélène : Non, non […]
André : Y a un côté investissement dans le sens effort, travail, mais aussi dans le sens argent […] Enfin, pour l’instant on est dans une période faste, j’espère que ça continuera
Moi : Toi, Hélène, tu parles d’un garage ?
Hélène : Ça ne me plaît pas de savoir qu’il y a des personnes qui viennent passer la nuit dans le garage. Ça me plaît pas beaucoup que tu fermes le garage et que tu le retrouves tout ouvert et ceux-là qui se servent. Je n’ose plus aller nulle part parce que je tombe sur ces individus. On est loin d’être tranquille. [Pendant cette intervention, André ne s’est pas arrêté de parler, mais je n’ai pas pu prendre en note en même temps que ce que disait Hélène.]
André : On vit une période vraiment étonnante. Y a des grandes manœuvres d’investisseurs, y a des grandes manœuvres. Pour l’instant, c’est bon, mais…
Moi : En tout cas, c’est les grandes marées, en tout cas
Hélène : Oui, on va chercher toute sorte de coquillages. Bigorneaux… […] La crevette… Papa avait un haveneau… [André n’a pas cessé de parler]
André : Y a aussi des investisseurs qui cherchent à venir dans la ville. Ce qui me gène, c’est que je suis sourd. Je suis neutralisé aussi dans la mesure où je n’entends pas, je ne vois pas, je suis réduit à peu de choses. Ça, c’est pénible. […] Emmanuelle, Emmanuelle, Emmanuelle, c’est ma petite fille

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Friday, September 13, 2024

A ll the time


J’apporte le même éclair au café acheté à Sizun puisqu’il avait paru plaire la première fois, mais on me fait remarquer que ma tante Hélène est maintenant « sous le régime mixé ». Tout est mixé, depuis qu’elle a fait, une fois, une fausse route. Je suis bien embêtée. Je demande si je peux lui donner au moins la crème, oui, la crème, ça va bien. Je demande une petite cuillère et je nourris ma tante à la cuillère comme je le ferais d’un enfant, d’un animal, d’une vieille dame. Manger est une chose si ancienne. Plus tard, une aide-soignante plus « humaine » — une exception dans cette maison de retraite alors que, dans d’autres maisons de retraite — comme celle de ma mère —, c’est l’inverse qui est l'exception — me dit (mais à voix basse) : « Oh, elle pourrait et elle a bien du plaisir aussi à mastiquer, mais, bon, par sécurité… » Bien entendu, personne ne veut être responsable d’une fausse route peut-être mortelle (ni moi, bien entendu). Voilà pourquoi tout est faux, on veut les protéger, les rattraper de la mort, les mourants, mais c’est surtout qu’on ne veut pas d’emmerdes, tout le monde se défausse. Encore une fois, j’ai connu la situation inverse : beaucoup plus d’art de vivre, d’enthousiasme, moins de « sécurité ». Je suis désolée de vous parler encore de ça, mais je ne trouve rien à la hauteur, à dire, dans ma vie, que l'approche de ces gens que j’ai la chance de connaître qui sont au bord de mourir et je me languis d’eux. Je m’ennuie, en vérité, dans ma vie solitaire. Soudain, avec eux, leur humilité magnifique de perdants, je m’éclaire : C’est ça, la vraie vie, ce n’est pas ce capitalisme triomphant permanent, cette pub permanente, cette fausse complexité de « la vie » qui est, en vérité, une forme d’une indigente simplicité, dont on fait croire qu’il s’agit de tout. Je le dis mal, je ne sais pas ce que je dis, mais Tilda Swinton, ici-même, sur IG, le dit et le prononce mieux en anglais : « That is really deep in our culture (actually our Western Culture, I would suggest), the idea that it’s a terrible tragedy for someone to die — as if it’s bad luck — or bad management — and maybe the mark of someone who hasn’t quite got the stuff. It’s so unfair, it’s really so disrespectful — and also delusional because we’re all dying, all the time. » J’entends des mouettes à Paris. Nostalgie, 


déjà. 

Mais je les connais. 


Et la fenêtre, encore à Paris, est grande ouverte...


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Sunday, September 01, 2024

T homas demeura à lire dans sa chambre


« Thomas demeura à lire dans sa chambre. Il était assis, les mains jointes au-dessus de son front, les pouces appuyés contre la racine de ses cheveux, si absorbé qu'il ne faisait pas un mouvement lorsqu'on ouvrait la porte. Ceux qui entraient, voyant son livre toujours ouvert aux mêmes pages, pensaient qu'il feignait de lire. Il lisait. Il lisait avec une attention et une minutie insurpassables. Il était, auprès de chaque signe, dans la situation où se trouve le mâle quand la mante religieuse va le dévorer. L'un et l'autre se regardaient. Les mots, issus d'un livre qui prenait une puissance mortelle, exerçaient sur le regard qui les touchait un attrait doux et paisible. Chacun d'eux, comme un œil à demi fermé, laissait entrer le regard trop vif qu'en d'autres circonstances il n'eût pas souffert [...] Il se voyait avec plaisir dans cet œil qui le voyait. Son plaisir même devint très grand. Il devint si grand, si impitoyable qu'il le subit avec une sorte d'effroi et que, s'étant dressé, moment insupportable, sans recevoir de son interlocuteur un signe complice, il aperçut toute l'étrangeté qu'il y avait à être observé par un mot comme par un être vivant, et non seulement un mot, mais tous les mots qui se trouvaient dans ce mot, par tous ceux qui l'accompagnaient et qui à leur tour contenaient eux-mêmes d'autres mots, comme une suite d'anges s'ouvrant à l'infini jusqu'à l'œil absolu. D'un texte aussi bien défendu, loin de s'écarter, il mit toute sa force à vouloir se saisir, refusant obstinément de retirer son regard, croyant être encore un lecteur profond, quand déjà les mots s'emparaient de lui et commençaient de le lire. »

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L es Dégats, les vieillissements de l’été dans les miroirs parisiens


Je suis rentrée hier, j’étais partie le 9 juin. La pollution à l’arrivée du double TGV rempli de vacanciers, des vrais, des gens jeunes et heureux, à tu et à toi avec la société ; la société, ils ne l’interrogent pas, ils sont heureux — et jeunes ! Je crois que je ne vais pas parvenir à respirer. Mais je sais aussi que c’est une question d’habitude, ça mettra 2, 3 jours. Je me dis que c’est la gare, que ça va aller mieux quand j’en sortirai. Et, en effet, dehors, c’est un peu mieux. Il a plu, il y a une vilaine lumière luisante, quelques figures parisiennes errantes (parmi lesquelles je m’inscris illico). Je laisse passer les bus parce qu’on m’y annonce un tarif de 5 €. C’est l’augmentation dû au JO, je n’étais pas au courant. Mais qui monte encore dans un bus à ce prix-là ? Du coup, je fini par prendre un taxi, 30 €. Oui, mais c’est un taxi. 25 € finalement ça me coûte si on enlève les 5 €. Et puis c’est un pauvre qui conduit, un émigré, j’ai l’impression de faire une bonne action. Il parle faiblement le français, cherche la grammaire, le vocabulaire, parle bas, mais il parvient, si je me penche vers lui (j’ai la fenêtre ouverte), à m’entretenir à peu près de choses dont les chauffeurs de taxis entretiennent leurs clients. En gros, les temps sont durs, les taxis ont fait moins d’argent pendant les JO que l'été 2023, etc. J’avais lu ça déjà, je ne peux qu’acquiescer, compatir… 


J’arrive dans ma double chambrette, suant, grimpant de nouveau les 6 étages, j’ouvre toutes les fenêtres très vite pour survivre à l’antimite dont j’avais gonflé l’apparte. Je trouve une boîte de sardines, un paquet de chips, ce qui me réjouit. Je retrouve surtout l’incroyable remplissage qui m’étonne. Mon sac est gros, est lourd, mais il y en a 100 fois plus chez moi. Chez moi ! Quelle impression. Toute naturelle. Je réussis à regarder un film que j’aime, un d’Audiard que je ne connaissais pas avec Annie Girardot sublime : Elle boit pas, elle fume pas, elle drague pas, mais… elle cause ! J’adore. Je me demande pourquoi je n’aime que les acteurs anciens ; je ne connais pas les nouveaux, en fait. Je connais Marina Foïs, quand même. Je dors les fenêtres grandes ouvertes, c’est de nouveau l’été. Le matin, j’enlève mes boules Quiès et je dors encore. J’entends des oiseaux parmi la rumeur calme d’un dimanche à Paris : septembre, les gens heureux, relativement heureux


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Saturday, August 31, 2024

L es Brisants de Portsall


Je me réveille, j’ai la fin d’un texte que je croyais avoir écrit. Le temps d'aller pisser, de boire un peu, de passer une chemise et une veste (et des manchons pour les poignets), d’allumer l'ordi avec ce fichu mot de passe, je l’ai bien sûr oublié, le texte, car il n’existe pas, il a disparu, il me reste la toute fin mais reliée à rien : « mais elle en remplace une autre qui en remplace une autre » (de cela seul je suis sûr, le reste, les circonstances, se perd…) 


RV est en dépression depuis 30 ans. Je demande à l’une de ses sœurs ce qu’il a. « Il n’a rien, en fait. Emmanuelle (le médecin de la famille) lui a fait tous les examens, elle ne lui a rien trouvé. Il est resté longtemps à l’hôpital, 2 mois au moins ». L’année dernière, il s’est fait attaquer par des « loubards », il a été « laissé pour mort » devant chez lui. Aucun mobile, rien n’a été volé. « La violence pure. » C’est à la suite de ça qu’Emmanuelle l’a fait hospitalisé à Brest, dans son service. Il voulait mourir, il se laissait mourir, il disait : « Je suis prêt ». Il ne mangeait plus. Il tombait, il ne se relevait plus. Quand je vais lui rendre visite, la journée est splendide, c’est peu de le dire. Il ne paraît pas surpris (mais j’apprends un peu plus tard qu’Elysabeth l’a prévenu). Il parle avec quelqu’un. C’est l’un de ses voisins qui lui a taillé la haie et qui lui propose d’aller prendre un café. Mais j’ai la priorité. Il ne me fait pas entrer, mais passe un assez long moment devant moi à enfiler ses sandales en plastique, comme le temps de mettre les choses en ordre, et puis, toujours sans trop de mots, il m’entraîne quelque part. On passe dans des sentiers parmi des maisons parfois neuves, on passe devant un cimetière. On arrive au port. Je propose alors qu’on prenne un verre à une terrasse, mais ce n’est pas le moment, il m’entraîne plus loin, il veut me montrer la splendeur de la baie. On passe devant la coopérative maritime, l’immense crêperie jaune moutarde qui « n’ouvre qu’un mois dans l’année », s’amuse-t-il. Il a commencé à parler, beaucoup, agréablement. On arrive devant l’immense ancre exposée de l’Amoco Cadiz devant laquelle les gens se photographient. C’est là qu’a eu lieu la marée noire la plus épouvantable du siècle, en 1978, je lui rappelle la blague de Coluche qui jouait le ministre du tourisme : « J’affirme que les plages bretonnes seront entièrement nettoyées pour l’été. D’ailleurs, j’irai moi-même passer mes vacances à Ploumazout et Trégasoil ». On rit de nouveau. C’est curieux comme une blague peut traverser les décennies. Au retour, on s’arrête à une terrasse et on sirote un Orangina pour moi et, pour lui, une Plancoët pétillante avec une rondelle de citron. Je suis pressée de rentrer. Je voudrais encore, dans cette journée, en avoir une autre, plusieurs autres. Il voudrait me retenir. Il est content, amusé de ma visite parce que, dit-il, « personne ne vient jamais me voir ». Il n’a plus de voiture. Je lui demande comment il fait pour les courses. Il me répond qu’une voisine l’emmène une fois par semaine au supermarché. Il vit dans une petite maison (mais une maison !) HLM, un logement social. C’est pour ça qu’il se retrouve à Portsall, il a été placé là parce qu’il y avait de la place. Sa famille a essayé de le rapprocher, mais sans résultat car il n’est pas prioritaire puisque il a déjà un endroit. L’endroit qu’il me montre est le plus beau du monde, les îles, les îlots, la transparence, les algues magnifiques qui se déploient comme des chevelures, les sables très blancs, le bleu, les oiseaux… Mais il m’assure que l’hiver, c’est autre chose, il n’y a personne. L’hiver, il veut mourir. L’hiver toute la Bretagne veut mourir. Ce n’est pas qu’il fasse froid, c’est qu’il ne fait « rien ». Le paradis est effacé. Un poème d’Emily Dickinson pourrait seul rendre l’horreur de ses « winter afternoons » ; j'en ai toujours avec moi


C’est toujours caricatural, ce qu’on écrit sur les autres ou sur soi-même. La réalité est toujours plus douce qu’on ne le raconte. C’est pour ça que ce n’est pas extraordinaire d’écrire. C’est-à-dire, ce qu’il serait seul possible, c’est la poésie. Mais c’est rare, la poésie. Si j’en crois France Culture qui me parvient parfois dans la voiture, la poésie n’est pas au rendez-vous de ce qui se publie à la rentrée.


Sentir comme Peter Handke, se sentir en train de sentir le monde, le vrai monde, pas celui des parlottes France Culture, non, le monde tellurique et végétal et animal, celui qui vit en même temps que soi. Et les passés, les strates, en même temps que le présent et l'éventuel futur. C’est cela, peut-être, écrire. Tout le reste… « Tout est vrai dans mon roman ! » Tu parles. Pauvre type. J’écoute ces émissions de France Cul et je me dis : ces hommes ont tellement tellement besoin d’être reconnus socialement, tout est sur du vide, désespérés, en fait. La conversation avec RV aussi est sur du vide, désespérée, mais, comme je disais, la réalité est toujours meilleure que ce qu’on en raconte. 

Tuesday, August 27, 2024

Titre (emprunté à Paul Eluard, vers qu'il a biffé, qu'il n'a pas gardé) pour un recueil de textes : 

Des rives de la vie en vrac

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Moi qui ai toujours l’attirance (et donc la peur) de me clochardiser, je constate que, dans ma famille, sans parler des morts (où sont-ils ?), les en-passe-de-mourir (maison de retraite), il y a aussi ceux des lents suicides. Plusieurs. C’est extraordinaire. On me raconte ceux qui n’ont vraiment pas de chance, une espèce de pente et, comment dit-on ? de cercle vicieux. Amour et admiration de ces gens qui ne peuvent pas s’en sortir, qui sont fabriqués pour souffrir, pour la passivité, qui n’attendent rien de la vie, qui probablement veulent mourir, mais ne sont pas capables de vouloir quoi que ce soit alors même pas ça… Grandeur incroyable de ces gens si isolés qu’ils sont, sans le savoir, dans un rapport direct avec Dieu. Dieu, l’inconnu. Ce qui ne peut pas se connaître, Dieu qu’on ne connaît que par la négative 


« J’ai pas les lèvres bleues » hurle la petite fille à travers la grève


C’est une belle journée, la plus belle que j’ai passée ici, une journée de plein été, la mer transparente ; il y avait même des méduses, mais des méduses inoffensives, disaient les enfants qui ne quittaient pas l'eau gentille


Sur la grève, je lisais des chiffres 


« L’immensité de l’univers, avec ses milliers de milliards de galaxies, chacune contenant des milliards d’étoiles et de planètes »

« Courage devant la légion des univers qui se comptent par 10 à la puissance 50 et plus ! »


Et le récit des misères extraordinaires de mes cousins et celui du livre des dimensions et la mer d’huile du soir et l’infinie soirée d’été là où dure le jour le plus long de France car je m’étais placée par la parole un peu plus du côté de la vie que de la mort


« Vivre avec la vie est très difficile. Le plus souvent, nous nous efforçons d'étouffer la vie », écrit une femme que je ne connais pas, mais qui a le même prénom que ma mère et son patronyme semble dire « Fils de l’hiver » (Jeanette Winterson). Son livre s’appelle : Pourquoi être heureux quand on peut être normal ? J’aimerais recommencer l’été maintenant pour lire les livres d’été que je veux lire 


La Bretagne est, depuis les années 50, la région de France la plus touchée par le suicide, 690 en moyenne / an, principalement des hommes (77%)


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Sunday, August 25, 2024

B outeille à la mer


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L 'Emotion (être lue ou être tue)


Tout est laid de ce que je lis dans les journaux ou alors (c’est fort possible), je ne sais pas les lire. Mes neveux font Science Po, ils sauront, eux. Mais enfin, tout est laid. Ce n’est pas mon monde. Ce n’est pas ce qui me porte. Le réseau social, l’addiction, ne me fait pas du bien non plus. Si je pense au monde, je suis désespérée. Où est le sens. Nihilisme, nihilisme, nihilisme généralisé. Tout le monde se tire (du navire) et se tire (dans les pattes). Et puis cette phrase d’Anna Karénine page 1059 : « Y en a qui ne vivent que pour leur panse et d’autres qui songent à Dieu et à leur âme ». A vrai dire, je ne songe guère à Dieu et à mon âme, mais voici que le pape vient me chercher sans que je n’ai rien demandé (ou alors d’une voix si basse, inaudible à moi-même). Il publie, ce mois d’août, comme une dissertation sur la lecture qui est bouleversante. 20/20. Un article du « Monde » en rendait compte, mais on trouve facilement cette lettre sur le site du Vatican. Legrand m’a dit qu’il avait pleuré en pensant à sa grand-mère qui aimait le pape et la littérature et qui aurait été émue à la lire. « Que les journaux crient tous la même chose, c’est vrai, dit le prince ; on dirait des grenouilles avant l’orage ! Ce sont sans doute leurs cris qui empêchent d’entendre la moindre voix. » Ça, c’est à la page 1076 d’Anna Karénine, le roman dont j’ai rejoint cet été le club de ceux qui l’ont lu à jamais. Parfois les journaux, je les lis mieux s’ils parlent de la complexité des choses du monde réel, cette effrayante surcomplexité qui m’effraye, mais qui m’effraye encore plus quand elle est réduite à une idéologie. Le pape en parle à propos de la littérature : « On comprend ainsi que le lecteur n’est pas le destinataire d’un message édifiant, mais qu’il est une personne activement sollicitée à s’aventurer sur un terrain instable où les frontières entre le salut et la perdition ne sont pas a priori définies et séparées. L’acte de lecture s’apparente donc à un acte de « discernement » par lequel le lecteur est impliqué personnellement en tant que « sujet » de la lecture et en même temps « objet » de ce qu’il lit. En lisant un roman ou une œuvre poétique, le lecteur vit l’expérience d’« être lu » par les mots qu’il lit. Le lecteur est ainsi semblable à un joueur sur le terrain : il joue le jeu, mais en même temps le jeu se fait à travers lui, en ce sens qu’il est totalement impliqué dans ce qu’il fait. » ETRE LUE

Saturday, August 24, 2024

L es Imaginaires de l’avenir


Ma tante Hélène ne se souvient plus de rien (de pas grand chose), elle s’en plaint à moi. Ma tante Marie-Thérèse, en revanche, raconte beaucoup d’une mémoire qui va partir avec elle. A propos de la plainte d’Hélène, elle me dit (intonation bretonne) : « Moi non plus, je ne me souviens pas, mais c’est en parlant que ça revient ! ». C’est très juste, c’est en parlant que tout se fait. Moi aussi, en parlant avec elle, en l’écoutant, je me mets à me souvenir de choses dont je n’avais jusque là pas du tout conscience. Mais Hélène n’a pas de chance. Elle n’est plus chez elle et sa maison de retraite n’est pas à la hauteur, elle est de plus en plus isolée, elle est aveugle, on ne s’occupe pas d’elle, on l’oublie. Elle n’entend plus bien non plus, on ne l’appareille pas. On se contente de mettre la radio fort et de la laisser dormir sur son fauteuil. C’est comme cela que je la trouve. Rien de plus facile que d’oublier quelqu’un. Il n’y a presque personne dans cette maison de retraite. En tout cas, dans les après-midis où je viens, il ne se passe rien. Quand je croise des employées, elles me sourient d’un sourire un peu fautif comme si j’allais les gronder (ce que, bien sûr, je ne fais pas), comme si elles étaient habituées aux plaintes des visiteurs. Elles ne foutent rien, en fait. J’en vois une qui, assise à table, plie des serviettes. Elles pourraient faire une partie de cartes. C’est aussi faux que dans un film. De la figuration. Au diner, Emmanuelle raconte, en la regardant affectueusement, que sa mère (Marie-Thérèse) a, dans cette journée d’août 2024, coupé la haie, fait un délicieux far breton (qui nous rassemble), ramasser les pommes tombées pour en faire une compote… Marie-Thérèse : « Eh bien… je revis, alors ? » Je lui répète ce qu’Emmanuelle m’a dit qu’elle avait dit : « J’ai jamais obéi à personne, c’est pas maintenant que je vais commencer… » Elle ne se souvient pas d’avoir dit ça, elle dément gentiment : « J’ai fait ce qu’on me demandait… » Etre une femme au XXème siècle, c’est pareil, au fond, obéir/désobéir. C’est vrai que toute la vie de cette femme, de mon point de vue d’enfant qui dure jusqu’à maintenant puisque je n’ai jamais encore été adulte (quand grandirai-je ?) m’a été comme une leçon de liberté ; ma mère déployant — sauf les deux dernières années que j’ai tellement aimées (trop courtes) — la leçon inverse. De celle qui ne savait rien faire de la vie, une leçon d’enfermement


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