Thursday, May 15, 2025

S i dans l'homme tout est chemin

 
Quand, dans mon adolescence, je lisais des livres de Liliane Giraudon publiés chez POL, « La nuit » ; Divagation des chiens ; Pallaksch, Pallaksch ; Fur… j’imaginais l’autrice : une femme, la trentaine, épanouie, cheveux noirs courts, sexy bien sûr. Quand je suis venu travailler à Montévidéo, au festival Actoral, invitée par Josette Pisani et Hubert Colas, le premier spectacle (d’une longue fidélité) s’appelait, je crois, Domaine de la Jalousie et Liliane était là, merveilleuse, nous sommes devenues amies, avec Jean-Jacques Viton, seulement ce n’était pas du tout la femme, la trentaine, épanouie, cheveux noirs courts, sexy bien sûr — que je désirais —, c’était une petite mémé avec la voix de Zize Dupanier. Eh, oui ! Mais je vous assure que j’ai toujours en mémoire les livres inouïs de cette autrice si merveilleuse que j’avais rêvée — et qui existe toujours pour moi. L'œuvre de Liliane Giraudon telle que je l'ai rencontrée ne commence pour moi qu'après cette période où j'étais seule avec cette femme, la trentaine, épanouie, cheveux noirs courts, sexy bien sûr

Je regarde avec émerveillement les images passer ici sur IG de Brigitte Bardot qui n’avait pas donné d’interview depuis 11 ans, elle est si belle, elle a encore vieilli, mais elle est si belle d’avoir encore vieilli

Maintenant je suis moins adolescente, mais j’aime les vieilles dames.

Les écrivains ne devraient pas se montrer, on les imagine tellement ! Marguerite Duras qui s’est énormément montrée en avait la nostalgie. Les rééditions en Folio ne mettaient que son nom sur la couverture, pas son prénom, elle rêvait qu’on l’imagine homme. Tout à l’heure j’ai croisé plusieurs fois Christine Angot dans le vernissage de l’expo de Frank Smith (magnifique expo, 39, bd de Beaumarchais). J’ai aimé son dernier livre, je l’ai écouté dans beaucoup d’interviews avec intérêt, mais l’idée, pour moi, de lui parler me fait horreur. J’ai fait celle qui ne la reconnaissait pas, qui ne l’avait jamais connue, qui n’avait pas la télé — et après tout quelle honte d’avoir la télé !
On ne devrait pas se connaître, ne pas savoir si les auteurs sont vivants ou morts. Ne percevez-vous pas la musique de cette fin du monde ?
Dans la galerie, le son des films projetés était en deçà (mais perceptible quand même) du brouhaha des conversations, et, parfois, plus fort, venaient se mélanger aux films, les sirènes qui passaient sur le boulevard, porte ouverte sur la soirée de juin
Quand je suis arrivée, Frank Smith se tenait sur le trottoir, à côté de la porte et disait sans doute à chacun comme à moi : « Merci d’être venue ». Je trouvais cette position idéale, sur le trottoir, un clope à la main. Mais il n’a pas tenu comme ça toute la soirée (et sans doute que ce n’était pas un projet). Il a dû lui aussi expliquer son œuvre qui, au contraire, se passe de commentaire (d'une grande cohérence et d'une grande force, the world behind the mist)

Tuesday, May 13, 2025

L e jeûne et la misère


« Quel est le point commun entrer danser et être amoureux ?… Ça se voit dans les yeux ! », affirme le prof. Alors je m’efforce de penser à Legrand. Mais je ne suis pas sûre que cela suffise. Alors je me mets du rouge à lèvres. Ça non plus, sans doute, ça ne suffira pas, mais c’est un début, ça montre que j'ai envie. Aujourd'hui, il y a aussi Cl. Ch. (pas Claude Chabrol, il est mort). Il y a longtemps que je ne l’avais pas vue, elle va normalement au cours du matin (dont j’ai été virée il y a qq temps : le niveau est trop élevé). Qu'elle est belle, Cl. Ch. ! Je regarde si elle a vieilli. Oui, elle a vieilli. Pour ça qu’elle est belle. Elle se laisse vieillir. Rien de plus beau qu’une femme qui vieillit. Elle est vraiment mignonne, craquante. Je ferais mieux de penser à elle. Mais ce qu’a oublié de préciser le prof, c’est qu’être amoureux ne suffit pas, il faut aussi être aimé pour que le regard brille, phosphore, il faut ce qu’on appelle maintenant le  « consentement » (la réciprocité) pour que ça marche. Sinon c’est un regard malheureux. Il y en a plein, à Paris (ville des amoureux pourtant), des regards malheureux, pas seulement au cours de danse, des regards retenus dans un filet, noyés, lestés d’un poids qui empêche l’air libre, le vol, la danse, l’amour, la joie-de-vivre. A mon âge, je ferais mieux de m'intéresser au butō. Des vidéos de Kazuo Ōno traînent sur IG en ce moment. C’est vrai qu’il a l’air amoureux. Et pas mal de rouge à lèvres aussi. Je l’avais vu une fois au Théâtre de la Ville. Sa dernière tournée. Sa der de der. Claude Régy à qui j'en avais parlé avait fait l'étonné : « Cette vieille tata ? » C’est fou ce que les pédés peuvent être transphobes ! Comprenait pas l’engouement qui se faisait autour de Kazuo Ōno. A Claude, j’avais peut-être cité Robert Bresson dont je lisais les Notes à l’époque (maintenant c'est Bobo qui me les souffle) : « Plus grande est la réussite, plus elle frise le ratage (comme un chef d'œuvre de peinture frise le chromo) ». Le sens d’un poème doit être secret, apparaître et disparaître si on le retient. J’ai toujours aimé les vieilles dames. A Marguerite Duras je disais parfois : « Oh, comme vous êtes jolie aujourd’hui ! » C’était vrai, certaines fois, elle était très jolie. Alors elle se tournait vers son compagnon qu’elle regardait en contre-plongée (genre Edith Piaf et Théo Sarapo) et elle lui disait : « Vous avez entendu, Yann ? » Elle pensait à l’évidence (et lui faisait savoir) qu'il ne le disait pas


L’incompréhension des hommes et des femmes, en écrire qqch. C’est quand même la grande histoire. Archi millénaire. Et, moi qui suis un peu Thirésias, je pourrais peut-être imaginer en dire something. A voir
Mais qui n’en a pas parlé ? (« Amour cruel / Comme un duel »)

Maintenant la nuit viendra. Summum.

« Joie / Et douleur c’est ce que l’amour engendre » (Serge Gainsbourg)

La chaleur, tout ce qui nous est donné

J’accuse mon époque de ne pas s’attaquer à l’horreur, véritablement à l’horreur

« Je hais plus que tout les ténèbres »…

J’étais solitaire, c’était facile. C’était à Paris, j’avais des amis, tout était donné. La solitude est sans doute terrible quand tout est mort autour de soi — et l’on s’en rapproche quand au moins on n’a pas d’enfants, pas de famille, pas d’enfants d’amis et c’est bien vrai, ce qu’elles disent, les vieilles dames… mais j’étais seule dans une espèce de printemps (je n’allais pas faire comme cette actrice de 95 ans qui en paraissait 25 qui clamait qu’elle vivait le plus bel âge (elle en avait fait un livre)

C’était « nourrisson » mais j’entendais « hérisson ». C’était le mot « paillasson » aussi. « Vous trouvez un nourrisson abandonné sur votre paillasson... »

Dans la profondeur du monde, la rive du monde
Puisqu’il fait beau temps, la lumière intellectuelle…

Dieu, « une lumière invisible, l’infinie vérité, la cause de chaque vérité et de toutes choses, dont la splendeur, ou plutôt l’ombre est cette lumière visible et finie cause des choses visibles » (Marsile Ficin)

« Don’t chase, attract »

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Monday, May 12, 2025

L es Confessions d’un ami (titre)


Je m’arrête sur la pelouse pour boire de l’eau minérale. Je ne veux pas écrire, cela me détourne de la seule chose qui est importante, c’est de lire. C’est la seule chose qui nous assure que nous ne savons rien, que nous n’y comprenons « goutte », comme disait Anton Tchekhov (en tout cas, dans la traduction que j’ai lue). C’est vital car nous sommes entourés de gueulards surreprésentés dans les médias qui clament qu’ils ont tout compris, de militants, de révoltés. Paul Valéry : « Même le plus sage exécute le mouvement très humain de cogner sur ce qu’il ne comprend pas ». Et, bien sûr, nous-mêmes aussi, nous avons l’âme militante, sur un sujet ou sur un autre, une cause ou l’autre, mais nous savons que c’est l'une de nos tristes facettes. Nous ne voulons pas voler le monde à d'autres, nous ne voulons pas faire la leçon à personne car nous croyons à Dieu, ou plutôt au divin, et à son fils Jésus, celui qui disait que si l’on se prend une gifle il faut tendre l’autre joue pour en avoir encore ou, par exemple aussi, à Thérèse d’Avila : « Il y a plus de larmes versées sur les prières exaucées que sur celles qui ne le sont pas ». Une phrase que Truman Capote a mise en exergue de son livre inachevé, Prières exaucées. On vit les plus beaux jours de l’année, on est en ville, mais la beauté du vert printemps, elle est indescriptible, on fond de bonheur, on attend son heure : maintenant. On est proche de tout, du dernier insecte, de l’oiseau dont on n’a plus que l’appeau et proche du néant aussi…

Bobo et Legrand ont à peu près le même âge, mais l’un est prof et l’autre est étudiant. L’un est jaloux de l’autre, l’autre est indifférent. L’un a de beaux yeux bleus d’amoureux (armés pour la chasse), l’autre ne peut compter sur ses sales yeux verts de serpent. L’un laisse venir sa proie à lui, presque immobile, sans bouger (jouant cette indifférence qui me rend folle), l’autre est expansif, mobile, tourbillonnant et il énerve sa proie de mille promesses, l’entoure de mille liens. L’un est trop propre, mais l’autre est un peu négligé (paraît que « les filles aiment ») et me dégoûte parfois. Les deux me dégoûtent parfois un peu, mais, l’un, c’est physiquement et, l’autre, mentalement. L’un est trop sérieux, mais l’autre papillonne. Ce n’est que l’apparence. A la vérité, les deux sont sérieux et papillonnent. L’un est très sociable, l’autre est plus fidèle. Mais l’un est pudique, l’autre plus exhib…

Je fais la maligne, mais je dois moi aussi les dégoûter, ils aiment tellement les filles, mes désirables amis, qu’est-ce qu’ils peuvent bien avoir à faire d’une fastidieuse vieille trans non-binaire ? Mais, ça, du dégoût que je leur inspire, ne m’en suis-je pas déjà beaucoup expliquée ? Faire avec...
 
D'ailleurs, ils ne sont pas gentils de la même façon, si bien que souvent quand je suis avec l’un, j’oublie la gentillesse de l’autre et, qu’avec l’autre, j’oublie la gentillesse de l’un… Tous les deux sont, mais vous connaissez cette expression, des « bêtes de sexe »

J’avais dit, j’avais dit à l’autre que la décision qu’il attendait (de moi) et que j’attendais aussi (de moi) était tous les jours repoussée au lendemain (« Ça s’appelle la procrastination », j’avais même prononcé correctement le mot, comme une petite illettrée qui voulait prouver qu’elle ne l’était pas), mais qu’en même temps, je la prenais chaque matin, cette décision de me décider, à la fois chaque matin et à la fois repoussée au lendemain, de telle façon que je n’étais pas sûre d’arriver à rien tellement que le temps (le temps n’est pas coupable), tellement que le temps… que voulais-je ?

C’est-à-dire que, quand on lit un livre contemporain et que l’on reconnaît un classique, oui, c’est l’émerveillement. Un livre qui écrit vraiment, pas gentiment, mais vraiment, quoi, alors, là… Ce matin, j’avais eu un vélo, j’avais arpenté la ville de long en large (en vélo), j’étais, de la Seine, de la Seine, j’étais montée sur les collines, j’avais vu toute la ville, presque toute la ville, assez de la ville pour en avoir l’impression d’un tout. J’étais passée Bourse du commerce où j’avais eu l’intention d’entrer, mais, non, trop de queue, trop de ce troupeau de vaches auquel il aurait fallu moi aussi appartenir, passer les portiques, etc. Et puis elle avait le vélo, elle, celle que j’avais été le matin, elle avait de la batterie, reine du monde. Elle avait acheté un sandwich qu’elle avait mangé avec un ristretto et hop ! C’était impressionnant, il n’y avait presque personne en ville, est-ce que c’était trop tôt pour les touristes ? Beaucoup de chantiers. Est-ce que les autres étaient partis en RTT ? C’était le 9 mai, tous les arbres, toutes les herbes étaient verts-verts, c’était fou comme c’était vert, plus l'hiver...

J’étais parfois dans des états de résurrection, des états de croyance, je veux dire : de prière. La prière peut-être pas pour demander, je ne sais pas demander, mais pour remercier, il y avait quand même quelques détails dans la journée qui étaient comme ça. Il y avait quelques présences. Il y avait l’état même du monde qui était ouvert, vibrant, oui

De toute façon, remercier, c’est demander, c’est entendu comme ça, vous demandez : rien d'autre


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Philip Roth disait (dans sa vieillesse) qu’il avait remplacé l’écriture par la lecture et le sex par la sieste. Mais, moi, je voudrais commencer par la lecture et par la sieste
Je laisse le sex à Legrand et à Bobo. Elles ont des besoins, mes bêtes, ma petite écurie
Moi, beaucoup moins
Legrand que je n’avais pas vu depuis un certain temps — retrouvailles au soleil du soir, son apparte dans la cour orienté à l’Ouest — s’était recoupé les cheveux. Alors après pelotages et reniflages (il me renifle, mais, moi, je suis anosmique), il me demande si, à l’arrière, ça va. Il m’explique (inutilement, comme une tendre excuse) qu’il ne peut pas voir son dos. Je lui propose de lui faire une rapid’foto pour qu’il s’en rende compte. Il dit encore : « Oh, en même temps, les gens me voient de face… c’est seulement si je me faisais prendre qu’on regarderait mon dos… » Voilà. Voilà comment il me parle. A moi. Alors. « Eh bien, mon chéri, c’est bien dommage que tu ne te fasses pas prendre parce que, de dos, on voit que tu as de belles oreilles oranges… »

On va écouter de l’orgue. Et, là, dans l’église baroque, Legrand dit : « Je pèche, mais ne prêche pas »
Une phrase comme celle-ci suffirait pour que j’aime Legrand, mais il y a bien plus que cette phrase. Il est très joli, en ce moment. C’est le printemps et il m’a écouté quand j’ai râlé en Bretagne : il avait des seins ! J’ai jeté des dizaines de photos parce qu’il avait des seins. Les seins, Dieu sait si j’aime les seins, mais sur les filles ! (Très tradi sur ce point : les seins aux sisters, les pecs aux mecs.) Alors, il a repris l’entraînement. Il a repris l’entraînement et perdu son ventre et ses faux seins, il s’est fitté, quoi. Spring body. Primavera. C’est allé vite. Il est tout à fait présentable, maintenant.
Il est même esthétique.
On le mettrait sur la cheminée.
On le promènerait comme un caniche.
J’ai failli (pour dire comme j’en suis fière) l’amener au goûter chez DI. Sud de Paris, roses en nuées, lumière en cascade (qui passe les saisons), silhouettes de quelques uns (happy few). Mais il en avait un autre aux Buttes-Chaumont. Miniature de Paris ; il y en a tellement de Paris en un. Toute cette place à Paris, toute cette place parce que les choses y sont très petites, infiniment contenues jusqu’à l’infiniment petit, jusqu’au cœur…

J’ai croisé bien du monde

Il y a encore l’espace-temps

Il y a ce matin la possibilité

D’écrire « l’espace temps »


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Thursday, May 08, 2025

Je laissais mon attention flotter pour écouter ce que me disaient les gens. Peut-être n’étais-je plus capable de faire autrement. Mais c’était ma manière — un peu risquée — d’en retenir qqch. Ce qqch s’en allait très vite, cela dit. Mais il fallait recycler les choses et je recyclais les choses au moment-même où l’on m’en informait. J’avais retenu quoi ? Qu’un type qui s’appelait Wilhem avait augmenté le pigeonnier qu’il avait dans le jardin, pigeonnier au sommet duquel j’admirais la vue immense sur Marseille jusqu’à la mer. J’ai ouvert la fenêtre et j’écoute de la musique selon John Cage et c’est vrai qu’il a raison, John Cage, il a raison sur bien des points. Il y avait Max Ernst dans le coup, Max Ernst qui n’avait même jamais vu le pigeonnier (mais comment savoir ?) et qui avait redécouvert ce Wilhem dont le nom m’échappe, ce Prussien qui s’était pris d’amitié pour les étoiles. Bobo m’avait dit que je-ne-sais-plus-qui avait fait remarquer, Barthes peut-être, il lisait Fragments d’un discours amoureux, que, quand on regarde qqn dans les yeux on ne voit pas ses yeux, mais son regard. Et, en effet, je n’avais aucune idée des yeux de Bobo. Je me mis à les regarder et ça m’avait presque fait peur : il avait les yeux d’un mélange de verts qui, comme ça, au soleil du soir, en face, à Malmousque, évoquaient des yeux de serpent.
Serpent, serpent, serpente au soleil
J’aimais boire, c’était un fait
J’attendais les alcools forts (l’occasion des alcools forts) ; le nom des alcools forts étaient des poèmes complets pour moi, les plus beaux poèmes ; j’attendais aussi l’heure du pastis, l’occasion du pastis qui, à Marseille, était biquotidienne ; j’attendais aussi ce petit banc où, le premier soir, nous avions consommé ces vins blancs naturels qui m’avaient bien pétée en attendant les pizzas du café de l’Avenir à côté.
Les jours enfuis, les jours glorieux

Chaque vague traînait sur le sable

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Sunday, May 04, 2025

Ce qui nous choquait — NOUS —, c’était la fuite, et, en même temps, mon frère disait que ça se comprenait, que le monde était devenu tellement complexe que la tentation pouvait être grande de ne pas lui faire face. Ce qui nous choquait, ce qui me choquait, c’était que le mal semblait être évacué, ça me faisait peur même. Il ne fallait pas réveiller les polytraumas, disait Bobo. Il avait dessiné une fresque sur un mur de la maison de Liam (que je n’avais pas encore vue), mais Liam lui avait dit une fois l’œuvre finie : « Finalement je ne suis pas sûr de pouvoir supporter la représentation d’un viol tous les jours dans mon salon ». Bobo avait dessiné Léda et le cygne, ça devait être assez joli avec la courbe du cou du cygne… finalement Liam l’avait gardée, mais après beaucoup d’emberlificotages de la part de Bobo — et aussi beaucoup d’amour de Liam pour Bobo (et sans doute — j’ajoute — de goût inconscient d’être violé par Bobo). C’était l’astuce de Zeus de se transformer quand il voulait baiser des qui n'étaient pas sa femme. Une fois même, en nuage. C’était très joli, en peinture, de représenter ce nuage en plein viol. Jeanne avait dit que depuis 5 000 ans le théâtre montrait les monstres et montrait que tout le monde pouvait les devenir — les devenir-monstres —, que c’était sa fonction et que, peut-être, c’était fini, comme il ne fallait plus choquer personne, c’était fini, que le théâtre était là justement pour choquer, pour provoquer la célèbre « catharsis ». Et Gwen avait dit : « Cette société de l’hypersensibilité, c'est, en fait, une société de l’hypercensure ». Bref, on en était là, un peu abattus, un peu sans solution, dans ce festival d’un jour organisé par Liam (pour la deuxième année) dans ce lieu de récupération et de recyclage des décors, à Marseille, là-bas dans ces quartiers craignos, à l’abandon, ni fait ni à faire… en tout cas, on avait bien insisté pour que je ne rentre pas seule dans la nuit et on était donc rentrés en groupe, mon frère, Bobo et Benita juste après avoir vu la plus grande merveille qu'on n'aurait pu jamais espérée, on était partis sans dire au-revoir à Liam, une performeuse inouïe apparemment franco-colombienne (mais Liam ne semblait pas très sûr) qui parlait, en tout cas, tout un sublime brésilien, dans une incarnation sidérante. Et justement, « parler », ce que « parler » veut dire au théâtre, une star, splendeur, disait des phrases sublimes (sublimes dans la forme, l’incarnation) dont la traduction apparaissait derrière elle, elle, simplement juchée, vautrée sur une table en Formica (et non pas en teck comme Bobo se trompait à le dire), elle disait des phrases comme : « Comment je peux comprendre le monde à partir d’une chose aussi insupportable que ma chair ». Et, vers la fin, elle avait dit : «  Cette lumière qui existe dans la chair, c’est nous ». Et j’avais hurlé plusieurs fois bravo, ça le méritait, quand elle avait dit, simplement à la fin, émerveillement de sa manière, « Obrigado » (je m’étais demandé comment elle allait sortir de cette incarnation extrême (qui imposait un si complet silence, un si vaste silence dans ce hangar devenu le centre du monde), eh bien, le plus simplement du monde, comme une star, comme une star une reine qui descend de voiture et j’avais réuni ma petite équipe et je leur avais dit : « Vous voyez, ce que nous disions tout à l’heure, la disparition des monstres (ou de l’amour des monstres), eh bien, là, nous en avons immédiatement le contre-exemple ». Elle s’appelait BRUTA, une trans probablement (en tout cas de l’extrême beauté des trans, tout genre confondu). Et j’avais lu ce matin ce bout de phrase chez Marguerite Duras (EMILY L.) : « ils avaient dû se connaître jusqu’à se trouver un être commun et dans le bien et dans le mal, et dans le crime et dans l’innocence, cela jusqu’à l’extrême conséquence d’une mort commune qu’ils avaient toujours évitée peu importait pourquoi »
 
 
 
 *
 
 
 
On est au bord de la ville mythique, la ville en corniche, en stuc, on est dedans aussi. On en a le souvenir autant qu’on la vit, la ville, le bord de mer, le soleil tout à l’heure qui, à la fin, ressemblait à une grosse lune yellow, les amis, la ville d’avant-guerre, d’entre-deux-guerres, la ville la joie. On est comme au bord, au bord de cette ville, et dedans, la ville est infinie et contenue, la joie et l’innocence de l’animal ne me répugnent pas, tout est mystérieux. Vous vivez au présent à Marseille. « Tu aimes toujours Marseille ? », m’a demandé Liliane avant d’ajouter : « Moi, j’en ai marre ». Contre les valeurs nihilistes, il y a Marseille ; c’est un savon, Marseille, c’est rien, ça apparaît ; c’est rien, c’est comme tout, c’est caché, sauf que ça apparaît. C’est nocturne pour l’écriture. Nous sommes pour nous des inconnus, nous en personne pour nous en personne, nous comme des romans écrits
Au bord de la mer
Au bord du ciel et de la mer
Au bord de mourir
Distraction divine
Divine et immergée

« Chacun est pour lui-même le plus lointain »

L’image du grand midi

Quand il pleuvait, il allait au ciné

Au cabaret La Rose Noire 
 
 
 
*
 
 
Rien de plus loin de Liliane que l’idée de « pureté ». Elle la combat, la pureté, elle la fracasse. Il y a un mot qui m’est venue à propos de Liliane, c’est « vulgarité ». Ça aussi, on dirait, c’est un combat, le vouloir de la vulgarité. Rien n’est pur, tout est vulgaire. Tout est marseillais
Liliane-lionne
Le vivant, c’est le vulgaire, pas le pur
Et comment faire de la poésie ? Par la voie vulgaire, pas la pure, le plain-pied, l’appartement-balcon au-dessus de la ville, dans la ville
Elle dit non, veut pas être séparée du déchet
Ecrits de combat
Vies de combat
« J’ai eu deux maris. Mais avec eux, j’étais pédé ! »
« Boyer m’a demandé si je tenais à ce titre : Les poètes sont tous des fils de putes », j’ai dit oui, que j’y tenais ; il m’a dit alors d’accord ; il me laisse faire ce que je veux… »
Le vaste et dangereux pays, le vaste et dangereux esprit accueillant d'un seul et unique soleil
On voudrait disparaître et réapparaître parmi tous les corps de Marseille. D’ailleurs, c’est ce qu’on fait
Ces rochers vautrés au soleil

Il y a du soleil dans la chambre
La chambre est une peau inversée
Ma robe bleue est tachée et je me sens épuisée

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Sunday, April 27, 2025

T out se recoupe

 
Il y avait au cours de danse classique un vilain petit vieillard très antipathique (il ne me disait jamais bonjour), un Américain rouge brique. Je ne connaissais plus le sens du mot « congestion » qui s’applique pourtant ici. Je le trouvais dans les premières phrases de Tendre est la nuit que m’avait conseillé DI (et que j’avais acheté la veille lors d’une virée chez Gibert-Barbès avec Legrand) : « Sur les bords charmants de la Méditerranée, à mi-chemin entre Marseille et la frontière italienne, se dresse un vaste et fier hôtel aux murs roses. Des palmiers éventent respectueusement sa façade congestionnée, et à ses pieds un bout de plage étincelle au soleil ». Congestion : « Etat pathologique provoqué par une accumulation excessive de sang dans les vaisseaux d’un tissu ». Et moi qui pensais que c’était ses offrandes désespérés à l'art de la danse qui rendaient le visage du vieux dwarf aussi cuit qu’une poterie ! On avait, une fois de plus, écouté Il venait d’avoir 18 ans et quelqu’un avait fait remarqué que Dalida chantait : « J’ai mis de l’ordre à mes cheveux » et non pas, comme tout le monde le croyait (et le chantait) : « J’ai mis de l’or dans mes cheveux ». Devant l’évidence (on s’était repassé le passage), ça nous était apparu affreusement moins poétique, mais, à la réflexion, plus logique. C’était une fête chez DI, une fête qui s’étiolait comme on aimait, après les premiers départs égrainés, ça me faisait toujours pensé à la phrase d’India Song que j'invente un peu
 
Après la réception, ils restèrent à quelques intimes
 
Pour que quelque chose ait lieu entre vous et moi

 
 

« Dès l’âge de 12 mois, les bébés forment des souvenirs éphémères »

« Hell is empty and all the devils are here ! »

Nino Ferrer s’est suicidé dans un champs de Moncul

Une actrice se désolait de son âge


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« E lena rit aux éclats »

 
Il y a tellement à aimer en moi, tellement à me donner
Je pourrais aller vers le monde, mais je n’aurais besoin de personne pour le faire ni même de moi, mais je pourrais, sans conseil, m’en approcher. Voir ce que je n’ai pas vu jusque là. Voir autrement.
J’ai pensé à Nadia. Ce dont je me souviens le mieux, c’est de sa sueur. « Sueur » sonne un peu comme « sœur ». Au Théâtre du Radeau, nous passions les heures d’après-midi dans 3, 4 m4 et ce n’était pas le genre de la maison de porter du déodorant, personne n’en portait, au Radeau, à ma connaissance. Et Nadia, dans sa belle robe blanche qui l’emprisonnait un peu, sentait fort quand elle se penchait vers moi. Je ne sais plus ce qu’elle me disait avec une grande douceur, c’était en grec ancien. J’arrivais au Radeau, j’étais jeune et elle aussi était jeune. Elle devait jouer une déesse ; moi, avec les vêtements de mon père, je lui répondais avec le début du poème d’Hölderlin : En bleu adorable.
J’étais allée retrouver Hervé à une soirée que donnait, à titre publicitaire, la boutique Vilebrequin de la rue Royale. La soirée était pleine de jeunes gens frelatés qu’on appelait les « influenceurs » ; la boutique sur deux étages était redécorée façon disco. On ne savait pas où se mettre pour pouvoir se parler sans crier, comme des bêtes on cherchait un coin (finalement on était ressortis sur le trottoir). Hervé était là depuis 6h et devait rester jusqu’à 11h. Je me disais que le métier des autres était parfois pénible (qui leur rapportait leur argent dont je bénéficiais). Mais les clips qu’il avait réalisés, diffusés sur des écrans lumineux étaient, m’affirmait-il, la partie amusante de l’affaire. Se retrouver dans la nature avec de beaux jeunes gens, beaux eux-mêmes comme la nature, au bord de la mer, en République dominicaine, par exemple, et peindre le bonheur dont la vision ferait acheter les gogos un peu friqués de cette marque, je dirais, de semi-luxe…
« Tu sens comme une drôle d’aventure où tu vas te risquer… »
« Une chaîne stéréo super dans un immeuble de grand standing… »
« Des cigarettes ici et là… »  

Une source d’exemples, des points d’appui…
La musique qui n’existe presque pas…




« Et puis comme Spinoza disait, finalement, Dieu n’a pas créé le monde il est le monde, donc nous sommes dedans »

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Friday, April 25, 2025

Sur toutes les photos que j’ai prises avec Legrand, j’ai l’air d’une folle, échevelée, dans une espèce de fausse jeunesse, de jeunesse éperdue... 
 

J’étais émue que cette femme que j’avais connue toute ma vie, dans différentes jeunesses, soient maintenant devenue si vieille. J’aimais particulièrement les mourants, les près de la mort, c’était un tel exploit, une telle jeunesse plus profonde encore. Je la reconnaissais et je l’aimais, et, ce que j’aimais, oui, c’était son physique, son incarnation
Qu’elle vive encore longtemps !
On les avait enfin changés de maison de retraite, oncle et tante, c’était une horreur où ils étaient. C’est le jour et la nuit, les maisons de retraite, je commence à en avoir l’expérience. Celle où était ma mère était merveilleuse — oui, merveilleuse — et, comme je ne connaissais que celle-là, je croyais que c’était la règle, mais celle de Morlaix était affreuse, un mouroir. Quand la question s'était posée, le médecin en avait proposé une autre, mais où il n’y avait plus de places, on avait décidé dans l'urgence de la plus près. Deux ans. Ça avait été comme pousser mon oncle et ma tante dans une pente très pentue… Maintenant, c’est trop tard pour rattraper le temps perdu. Mais c'est toujours trop tard. Mais la nouvelle maison de retraite est merveilleuse. C’est très difficile d’en dire plus, pourquoi le bien, pourquoi le mal. Le psychiatre Jean Oury se battait contre ce qu’il appelait la « névrose institutionnelle ». Il suffit de pas grand chose et c’est l’enfer, de pas grand chose et c’est le paradis. La faute de qui ? Ou alors on ne croit en rien. Mais je crois au paradis et je crois à l’enfer. Si on ne croit en rien, alors on ne croit en rien. Mais si l’on croit en qqch…
Et puis j'entends ce matin une émission où l'on pose à l'interviewée, une musicienne, la question rituelle de Jacques Chancel : « Et Dieu, dans tout ça ? » et j'entends : « Et puis comme Spinoza disait finalement, Dieu n’a pas créé le monde il est le monde, donc nous sommes dedans »

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