Thursday, March 13, 2025

M élancolie


J’étais très fière car Legrand se passionnait pour Jon Fosse, il le lisait au kilomètre. Du coup, il me regardait presque avec envie. J’étais celle qui avait vu les spectacles de Claude Régy, qui, même, une fois, pour une soirée à la Maison de la Norvège, avait joué une pièce courte de Jon Fosse intitulée Dors mon petit enfant, en lecture, comme ça, je faisais tous les personnages devant un public acquis, ils venaient tous pour rencontrer Claude Régy, l’écoute était fervente dans la salle, comme si Valérie Dréville elle-même lisait et c’était juste moi


On s’était vus trois fois avec Claude et ç’avait été très facile. Claude baignait dans la matière, il représentait à ce moment-là Melancholia au théâtre de la Colline, il me disait à chaque mot, chaque virgule quoi jouer. Les acteurs sont des êtres simples : si on leur dit précisément quoi jouer (ça s’appelle la dramaturgie), ça les sauve de tout


Je suis présentement à Örnsköldsvik, une ville de 30 000 habitants, à 600 kilomètres au nord de Stockholm. J’y passe mes vacances d’été sur une île, dans une maison de pêcheur en bois sans eau courante ni électricité. En 2001, à 19 ans, bac en poche, la jeune fille arrive à Nice pour une année sabbatique dans le but d’apprendre le français et il y a de la neige de l’autre côté du fjord. Je regarde, chaque vague est agitée par le vent. Une amie se baigne, elle devait passer me prendre, mais je n’irai pas, je regarde, je regarde le monde de mon balcon, les nuages, la neige, les vagues, sans cesse l’image renouvelée des nuages, des vagues, des évanescents effervescents nuages blancs, là-haut dans le vague 


J’avais encore envie de ma jeunesse. Je regardais la vue, je regardais la vue, je regardais les volumes amples et blancs et lents des nuages et des nuages

Labels:

Wednesday, March 12, 2025

T remblement


C’est terrible, je considère comme un devoir — un devoir dans la journée, un devoir dans la nuit — de parler à Legrand, de m’adresser à lui, mais de m’adresser à lui ici. Je sais qu’ici il ne me lira pas. C’est par pudeur, paradoxalement, que je m’épanche ici. Y a-t-il quelque chose dans notre histoire ? Rien n’est moins sûr. Je suis consciente de tirer la couverture à moi. Hier en m’endormant transie de froid, les nerfs à vif, de douleur, d’irrespiration, j’avais peur et — comme une prière — je me suis adressée à Legrand : protège-moi… 


J’avais éteint ; j’étais, je crois, dans la nuit noire dans l’appartement blanc donnant sur le lac bleu et je me suis redressée, j’ai cherché mon carnet, j’ai tâtonné, il fallait que j’écrive (toujours cette forme de la prière) : « Soudain je sais pourquoi j’aime Legrand, pourquoi j’ai besoin de sa protection, parce que j’ai besoin de sa protection. Le monde au mieux fasciste au pire nazi qui se matérialise, pas seulement des quelques semaines actuelles, mais des années à venir, j’ai besoin d’une protection, de n’importe qui comme Legrand capable de me protéger ; je sais que je peux compter sur Legrand ; c’est cela mon amour pour Legrand : plus clairement encore que le besoin d’affection — et le besoin d'indifférence —, le besoin de protection » 


Et j’écrivis encore : « dans la nuit noire de l’appartement blanc donnant sur le lac bleu ». 


Je me réveillai plusieurs fois dans la nuit, j’avais froid, j’avais chaud, je ne savais pas ce que j'avais : une fois, c’était l’aube, ce commencement vous savez, juste le commencement, bien avant l’éblouissement de l’aurore, l’aube indécise, juste le contentement d’avoir traverser la nuit, de voir ça, cette réalité, les oiseaux beaucoup. Et je vis que ce que j’avais pris pour un lac était en fait un bras de mer, un fjord sans doute, une rade, quelque chose d’infiniment mélancolique. Ça en avait les couleurs — inphotographiables —, c’était l’humanité du Nord, des quakers, ces gens du Nord, du bleu du Nord, de la Finlande, de la guerre, de la pauvre humanité sous la mitraille, la lumière intérieure décevante, protectrice, mais la lumière intérieure... 

Labels:

Sunday, March 09, 2025

Que dire sur Legrand ? Je pourrais me taire. Ça vaudrait mieux. D’ailleurs il n’y a rien à dire, on est voisin donc on est toujours fourrés l'une avec l'autre, mais jamais dans le même lit et c’est mon malheur, et c’est ma souffrance, mais elle est légère comme une lettre à la poste, ne croyez pas…

(ici, c’est des lettres à la poste, non ?)

(ou des bouteilles à la mer ?)

J’ai trouvé un envoi de Dominique Fourcade de 2013, que je n’avais pas ouvert… C’est très beau, lisible derrière la moisissure (je loge dans une sorte de taudis très humide très ensoleillé, une bohème)

Là, je traîne et j’écris sur Legrand au lieu d’aller le rejoindre comme il me l’a proposé au dernier jour du musée d’Art moderne du Centre Georges Pompidou… 

Dans les quelques feuillets de DF publiés par Chandeigne il y a cette phrase : « L’écriture est un travail de désir et d’horreur, je n’ai vécu que dans ce trouble »

Je voudrais n’écrire que Legrand, mon amour, Legrand, mon amour, Legrand, mon amour, Legrand, mon amour…

Il y a aussi, dans les pages de Dominique Fourcade, cette expression qui me fait immédiatement pensé à l’œuvre de DI : « dans l’acoustique de la mort »

J’ai rêvé à elle la nuit dernière, j’ai rêvé, la nuit dernière, que tu faisais une photo de moi parce que j’avais récupéré un mégot devant la Sorbonne (c’est dans le livre que je lis) que je tenais sur le bord de mes lèvres, comme un personnage des années..., mais tu y renonçais parce que « de dos » — tu voulais me photographier de dos —, ça ne se voyait pas (le clope ne dépassait pas). J’imagine que ce mégot vaut pour la bite car, dans la journée, j’avais revu au Louvre le (ou la) sublime Hermaphrodite endormi.e


Legrand est venu chez moi pour la première fois pour que je lui refile des vêtements (j’en ai beaucoup trop dans mes 20 m4) et, dans la lumière de chez moi, plein Sud, j’ai vu à quel point ses yeux étaient bleus, dévastés tellement d’être bleus, délavés — et j’ai renoncé à les regarder parce que je veux vivre, moi, je veux vivre, mais sans connaître (trop) la beauté, je veux l’oublier… 

Je veux vivre plutôt que mourir


Pas besoin d’aller au magasin, je découvre plein de vêtements merveilleux chez moi, que j’avais oubliés (Legrand est passé pour que je lui en donne). Et j’ai rêvé, la nuit dernière, que tu faisais une photo de moi parce que j’avais récupéré un mégot (devant la Sorbonne, c’est dans le livre que je lis) que je tenais sur le bord de mes lèvres comme un personnage, mais tu y renonçais parce que « de dos » — tu voulais me photographier de dos —, ça ne se voyait pas (le clope ne dépassait pas). J’imagine que ce mégot vaut pour la bite car, dans la journée, j’avais justement revu au Louvre le (ou la) sublime Hermaphrodite

😘 T’embrasse, 

Marie-Noëlle

Labels:

Friday, March 07, 2025


A l’Ecume des pages, la dernière des trois libraires de Saint-Germain-des-Prés, j’ai trouvé dans un livre je ne sais plus lequel, il y en avait plusieurs étalés autour de la figure de Marguerite Duras (on n’a pas fini d’en parler, de cette cinglée !) cette photo où, sur la carte postale, j’ai reconnu l’écriture de Claude Régy, l’écriture que j’aimais. Quelle émotion. C’est au moment où Marguerite travaille sur son film, INDIA SONG (son chef-d’œuvre) puisque Claude lui demande si elle a trouvé son Michaël Richardson (l’amant d’Anne-Marie Stretter — Delphine Seyrig). La carte est une vue de Montauban, sans doute Claude de passage dans sa famille… C’est un peu personnel, ce que je vous raconte là… 


Le 16 mai 

Marguerite, les oiseaux ici sont innombrables (réserve protégée de la chasse). J’ai traversé la Sologne, le Périgord (de toute beauté). Je pense très fort à toi. As-tu commencé ? Avec quel Michael Richardson ? Le budget, etc. As-tu dominé tous les problèmes ? Je rentre lundi. Je t’embrasse, Claude

Labels:

Wednesday, March 05, 2025

E mma


C’était une journée tellement belle et Zakary m’avait téléphoné et il était dans le Nord, près de chez moi, et, moi, j’étais rue Bréa, derrière le Luco, je faisais le pèlerinage — que je ferai toujours — celui de ma sœur : elle tenait un magasin de jouets rue Bréa et elle habitait de l’autre côté du Luco qu’elle traversait à pied pour aller travailler le matin et rentrer chez elle le soir. Même si le magasin avait assez rapidement périclité (elle était incapable, comme moi, de s’occuper de la paperasse), j’aimais penser qu’elle avait bénéficié un moment d’un petit paradis. Pendant un moment, elle y avait cru, c’est certain. Elle avait cru à la vie, elle avait cru qu’elle s’en sortirait, elle avait cru à sa bonne étoile. C’est certain. Peut-être que la drogue s’était calmée un moment. Le magasin était très bien placé, les jouets choisis avec goût, elle n’avait pas de problème de vente (elle aimait ça), mais elle était toute seule malgré des amis qui l’aidaient, qui l’aimaient, malgré une amie proche aussi, Joséphine, malgré ma cousine, malgré moi. J’avais commencé une psychanalyse et, tout de suite, ma sœur et moi, nous avions été proches, réconciliées d’un faux dégoût. Mais je me disais : « Je continue la psychanalyse (au début ça avançait si vite) et je l’aiderai mieux… » Mais elle est morte, voyez, ça va vite, il ne faut pas attendre pour aider les autres, mais on ne sait pas le faire, souvent, comment le faire. Voilà, j’étais au Funzy Café découvert par François Simon, un café vide, hors du temps, tenu par une seule personne qui sert et fabrique la nourriture, notamment des gâteaux qu’elle étale sur le comptoir, j’avais mangé là, près du magasin de ma sœur, aussi hors du temps, et j’y traînais encore, avec un livre, J’écris l’Iliade, de Pierre Michon (un livre très cochon), une part de pithiviers et un thé vert, et la porte grande ouverte sur le vide, sur la mer, c’était la splendeur de la journée d’été, Paris était resplendissant, tout miroir, toute beauté, comme une espèce d’éternité, un peuple. Et Zakary m’a appelée. Il est venu me rejoindre d’un coup de ligne 4 et on est allés au Luco. J’étais si contente qu’il ait pensé à moi car (je le lui ai dit)  je m’aperçois, en ce moment, que je n’ai pas d’amis, que, d’une manière presque mystique, je réussis à faire le vide autour de Legrand, qu’il n’y a plus que Legrand, que même Bobo qui est à l’école à Roubaix, je l’oublie, ou, disons, il ne fait pas le poids vis-à-vis de Legrand, mais ce poids de Legrand, ce n’est que moi qui le crée, justement en faisant de ma vie un vide dans lequel je l'enchâsse (pour l’aspirer ?), mais, alors, j’ai peur que Legrand se fatigue de cette matière vidée, ouatée, étouffante, de ma manière « à la Bovary », de ma folie, en quelque sorte, j’ai peur que Legrand me jette et, alors, je n’aurai plus du tout d’ami et ce serait fini de chez fini, j’aurai plus que mes larmes pour pleurer, mais Zakary m’avait appelée. Il m’avait imitée Brigitte Fontaine à la perfection (il imite très bien),  il m’avait parlé de l’Algérie, il voulait toujours qu’on y aille ensemble et, moi aussi, tellement, mais la situation entre la France et l’Algérie se détériorait à si grande vitesse en ce moment (il m’expliquait la situation, il en revenait) — et je voulais parler ici seulement de lui

Labels:

Monday, March 03, 2025

Je me souviens, maintenant, que j’avais lu La Salle de bain, de Jean-Philippe Toussaint, pendant le confinement ! C’est une photo qui me revient. Il  faisait si beau, j’étais dans le jardin de mon amie, son petit jardin pour nous un immense paradis. On avait même monté la tente pour y camper. On vivait nu. Il n’y avait pas d’avion dans le ciel, les chantiers arrêtés, les rues silencieuses laissées aux hérissons. Et il y a cette photo, je crois, où j’ai posé La Salle de bain, titre bien visible, en cache-sexe.  


Je me souviens d’avoir admiré La Salle de bain, mais je me souviens aussi que je ne m’en souviens pas. Il ne m’est rien resté (il faudrait que je le refeuillette, sans doute). Mais ce nouveau livre de Jean-Philippe Toussaint que je viens de finir — écrit justement pendant le confinement — il faisait beau à Bruxelles aussi — je pense que je ne l’oublierai pas. Je l’ai lu différemment et sans doute aussi que la manière d’écrire de JPT a changé. Je l’ai entendu dire dans un entretien que, dans l’optique de faire ce qu’il voulait, il avait ajouté à son écriture — à sa liberté — des choses fortement déconseillées (par la doxa Robbe-Grillet, par exemple) comme la psychologie. J’ai lu l’an passé sa très belle traduction (écrite au même moment) de la nouvelle de Stefan Zweig, Echecs, et donc, cette année, j’ai lu Echiquier et c’est très beau, très touchant, livre libre, libre de faire ce qu’il veut et non pas contraint de faire ce qu’il veut comme, il me semble, c’était encore le cas de son premier roman remarqué. Envie de tous les lire, les uns après les autres, découverte d’un auteur, cela veut juste dire : d’une personne — et, j’insiste, d’une personne libre, certes très soucieuse de la forme, mais, en tout cas, préoccupée de se donner, à elle et à son public, une « leçon de liberté » comme, moi aussi, je le proposais toujours aux interprètes avec qui je travaillais quand j'étais encore dans le show-biz, c’était alors dans les années 1970, je crois bien 


Labels:

Sunday, March 02, 2025

J’aime me perdre sans mon dieu, j’aime que la rivière du soleil m’enserre dans le souvenir — qui est, dans mon cas, l’absence de souvenirs. Imaginez un puit. De ce puit vous tirez la vérité. Etre en EPHAD. La belle affaire. J’ai failli encore avoir un accident hier. Une mobylette qui débouchait d’une rue en fonçant. « Eh ! », j’ai eu le temps de crier, « Ça va pas ? » Et j’ai vu l’air du type un peu honteux… Je sortais d’un cinéma, un film de quatre heures sur une petite ville américaine. A priori très ennuyeux. Mais au final je la connais, la petite ville. J’irai jamais. Mais c’est aussi toutes les petites villes… Passons à un autre sujet ! Le métier de vivre. J’ai demandé mon chemin. Habitude, habitude… J’aime me perdre sans mon dieu. Mon dieu, c’est Legrand. (Ceux qui me connaissent le savent.) J’ai regardé des « souvenirs » sur mon téléphone. Ça se présente comme ça. J’allume mon téléphone, ils me présentent des « souvenirs » (les gens de la Silicon Valley). J’ai regardé. 2020. Ça semble si loin. Elle était belle, cette fille avec qui j’étais. Elle s’habillait bien. Et, moi, quelle fille je faisais ! (Elle me voyait en gars, elle.) (Mais je me vois en fille.) J’étais mince à l’époque. Ah, c’est terrible, ce poids que j’ai pris (depuis mon accident). Ça suffit, non ? Ceci est écrit en écriture automatique. C’est aussi bien. J’aime me perdre sans mon dieu. J’ai pas les ustensiles pour. Pour quoi ? Pour faire. C’est comme ça. J’ai pas. C’est un poème du jour. On s’enfuit, on s’enfuit. C’est possible le dimanche, c’est bien. Le jour du Seigneur. My Lord. Téléphoner au Canada. A Vancouver. Quel métier, la vie !


Labels: