Le lendemain du match, je faisais mes courses comme une parfaite petite ménagère en ménage imaginaire avec Legrand, heureuse, comblée, ensoleillée et, devant le Monoprix, voilà que je suis soudain apostrophée d'un « C’est un sacré nombril que vous avez là, Madame ! » J’étais en short, bon, ma chemise était un peu ouverte, peut-être (je le constatais à mon retour), bref, du tac au tac, de plain-pied, je renvoyais à l’agresseur, un brave garçon qui avait comme nous tous gagné le match hier, la joie de vivre de mon plus immense sourire ! Avec moi, tu as le beurre, l’argent du beurre et le cul de la crémière par-dessus le marché. Tu sais parler aux dames, toi ! Depuis que j’ai changé de genre, dans ce quartier où j’ai été tellement — mais toute ma vie ! pas une semaine sans que — attaquée, insultée, menacée, détruite comme à la guerre, je me sens maintenant, j'ose à peine l'écrire, protégée. Je croise les doigts, mais je me sens — et, dans les faits, c’est réel aussi —, oui, acceptée, aussi absurde que cela paraisse (à ma grande surprise). Dans mon quartier, La Chapelle, je découvre qu’on respecte les trans. Même les moches comme moi. Les celles qui font pas tellement d’efforts, quoi. On respecte les trans plus que les garçons efféminés. Et puis, il y a peut-être autre chose. Un homme dit à une femme avec utérus prise au hasard dans la rue la phrase plus haut, au mieux, il se fait ignorer, rabrouer, au pire il se prend un « procès au cul » (selon la belle expression entendue en coulisse des Love Letters et rapportée par la costumière). Elles en ont trop marre d’être sexualisées, les meufs. Une question de quantité sans doute, trop c’est trop. Mais, à une trans, il obtient la tendresse, le gosse. Il y a peut-être — aussi — que je me sens mieux dans ma peau, plus ouverte et que tout le monde en profite, de mon petit bonheur de quartier. Il y a peut-être que j'ai rejoint la communauté des pauvres gens, des gens rejetés, une sorte d'entraide. Mais c’est quand même dans mon quartier que je découvre, ce que je n’avais pas même imaginé jusqu’à maintenant, la politesse. Oui, appeler une trans « Madame » et la complimenter de son physique, c’est la politesse du lendemain de match
« Je chanterai pour toi la chanson de ce garçon qui se promenait seul dans la vie et dans le monde.
Car ce garçon, c’est moi. »
(Hélène Bessette)
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